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qui remuait l’ame de lord George Bentinck et des hommes éminens du parti tory. C’est contre cette pente qu’ils essayèrent d’organiser une réaction. Ils croyaient que la constitution anglaise, avec les fières et nobles libertés qu’elle a procurées à l’Angleterre, serait perdue le jour où elle se laisserait envahir par la démocratie. Se trompaient-ils ? Il n’y a que ceux qui n’ont rien compris aux révolutions contemporaines et qui ignorent que la démocratie est la forme qui enveloppe, aujourd’hui comme dans l’antiquité, la décadence des sociétés civilisées, il n’y a que ces aveugles qui oseront l’affirmer.

La tactique de lord George Bentinck et des tories pendant toute la discussion des mesures de sir Robert Peel fut singulièrement tenace, énergique, adroite. Lord George et ses amis comprirent que, sous le régime parlementaire, le premier devoir d’un parti menacé dans son existence est de parler, comme le devoir du soldat est de se battre. C’est encore un principe que nous avons trop méconnu. On dit couramment chez nous que le régime parlementaire s’est discrédité en France par l’abus des harangues : c’est le contraire qui est vrai ; la finesse des sous-entendus, la sagesse des réticences et la diplomatie du silence lui ont fait certes plus de mal que les discours. Si les tories s’étaient tus en 1846, il n’existerait plus de parti tory. Ils parlèrent donc beaucoup ; ils s’adressèrent à la raison, aux intérêts, aux passions. Ils parlèrent aussi par système, afin de retarder le plus possible le moment du vote définitif. On sait que les bills passent en Angleterre trois fois par l’épreuve du débat et du vote avant d’être acceptés. J’ai cité tout à l’heure le mot du ministre qui annonçait qu’il n’y aurait qu’un débat de bœufs gras qui ne durerait pas deux nuits. La discussion, sur la première lecture seulement, dura trois semaines. Lord George Bentinck la prolongea pour attendre l’issue des élections partielles, qui devaient grossir son parti. Son but était d’empêcher que le ministère n’eût une majorité de 100 voix. La majorité, à la première épreuve, fut de 97. Les tories eurent 242 voix ; sir Robert Peel ne conserva qu’une centaine de ses anciens amis, parmi lesquels quarante faisaient partie du cabinet ou de l’administration. Le gros de sa majorité était formé des whigs et des radicaux.

Après ce résultat, lord George Bentinck s’efforça d’empêcher que le bill ne fût voté par la chambre des communes avant Pâques. Il saisit toutes les occasions ; il disputa le terrain pied à pied. Dans la discussion des nombreux articles de la loi qui remaniait tout le tarif des douanes, il prononça à propos de chaque article des discours nourris de faits sur l’état des industries dont les intérêts étaient compromis. Son but était de gagner le plus d’intérêts à sa cause, de montrer la force du parti tory qu’on n’avait pas cru capable d’une résistance si opiniâtre, d’affaiblir le ministère en entravant sa marche, et de profiter,