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considérable subie par les revenus de la propriété, et l’Irlande, dont la population a décru de deux millions d’ames depuis 1846, prouve assez le déplacement de la main-d’œuvre. Que l’acte de sir Robert Peel, cédant devant une agitation révolutionnaire, fût un précédent pernicieux aux intérêts conservateurs, l’expérience l’a également démontré, sinon en Angleterre, du moins dans le reste de l’Europe, et surtout chez nous. L’histoire de notre temps ne pourra taire que l’exemple donné par sir Robert Peel a porté un coup funeste au parti conservateur européen. Les révolutionnaires de tous les pays n’eurent pas assez d’applaudissemens pour ce ministre qui immolait un parti soi-disant rétrograde à une réforme exigée par une agitation démagogique. On présenta comme une leçon donnée à tous les gouvernemens conservateurs la conduite de sir Robert Peel ; puis on s’en fit une arme contre eux. Nous ne pourrons jamais oublier, nous Français, que le succès de M. Cobden, auquel sir Robert Peel décerna une apothéose étrange, fut l’aiguillon et l’appât de la campagne des banquets qui a produit la révolution de 1848. Enfin il n’est pas moins vrai que la violation des engagemens de parti compromettait les principes du gouvernement parlementaire anglais. Le régime représentatif est le gouvernement des majorités. Les majorités n’offrent d’appui fixe et solide au pouvoir, dans les assemblées, qu’autant qu’elles sont elles-mêmes fondées sur cette base permanente d’intérêts et de doctrines qui maintiennent l’identité des partis, et qu’autant que les hommes qui les représentent au pouvoir demeurent fidèles aux intérêts et aux doctrines dont ils sont les mandataires et les organes. Rompez ce contrat de fidélité entre les partis et leurs chefs ; il n’y a plus de majorité durable, il n’y a que des majorités flottantes. Avec des majorités flottantes, pas de pouvoir fort. Et, lorsque les institutions représentatives ne peuvent plus donner à un pays de pouvoir fort, elles se discréditent rapidement et périssent. Voilà encore une expérience où nous sommes, malheureusement pour nous, plus savans que les Anglais. Cependant l’Angleterre y est entrée depuis 1846. La scission de sir Robert Peel et de son parti a rendu impossible jusqu’à présent la formation d’une majorité homogène et disciplinée ; le malingre cabinet de lord John Russell a souffert pendant toute sa durée de cette impuissance fatale, et il vient d’en mourir.

Les trois tendances dont nous venons de parler ; déplacement téméraire de richesse et d’influence aux dépens d’une classe et en faveur d’une autre, facilité à céder à la pression d’une agitation révolutionnaire dans ses moyens d’organisation et de développement, rupture des engagemens de partis, aboutissaient au même résultat : elles faisaient verser la constitution anglaise du côté de la démocratie. C’était la vue de ce péril, non la préoccupation d’un intérêt égoïste et exclusif,