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et blanc, le nez aquilin, la lèvre supérieure courte ; l’émotion colorait facilement son visage patricien, ses yeux noirs lançaient le feu de son esprit et de son ame dans des regards brillans, perçans, impérieux, incapables de tromper ou d’être trompés. Il était manifeste que partout où il voudrait dépenser ses mâles facultés, un pareil homme avait sa place au premier rang.

La carrière politique de lord George Bentinck s’était donc bornée à des votes presque toujours muets. Ces votes avaient été conformes aux principes libéraux et conservateurs qu’il tenait de Canning. Il avait adhéré à l’émancipation des catholiques et au bill de réforme. Il avait soutenu le ministère whig de lord Grey, où étaient entrés plusieurs anciens collègues de Canning, et dans lequel il refusa une place qui lui était offerte ; mais il passa dans l’opposition et du côté de sir Robert Peel, lorsque lord Stanley, son ami, se sépara des whigs. Lord George ne faisait jamais à moitié les choses ; il devint un des plus chauds partisans de sir Robert Peel. Sa confiance dans cet homme d’état était absolue. À la fin de la session de 1845, quand M. Disraeli osa prédire la prochaine défection du ministre, lord George Bentinck fut un des conservateurs qui protestèrent le plus vivement contre cette attaque qu’il regardait comme une calomnie, et qui s’exprimèrent le plus amèrement sur le compte du malencontreux prophète. La désertion de sir Robert Peel tomba donc comme un coup imprévu sur l’esprit et le cœur de lord George Bentinck. Qu’on juge de l’effet qu’une déception pareille produisit sur ce caractère sincère et véhément. Il apprit à la campagne cette péripétie. Il ne prit conseil que de lui-même, se prépara, par une vaste enquête sur la situation alimentaire du pays et sur tous les intérêts menacés, à combattre la nouvelle politique du ministre, et résolut de venger l’honneur de son parti, victime suivant lui, d’une trahison outrageante.

Avant de voir s’engager la lutte que rêvaient seuls en ce moment M. Disraeli à Paris et lord George Bentinck au fond d’un comté d’Angleterre, il n’est peut-être pas inutile de rappeler la nature des promesses faites par sir Robert Peel et ses amis, vers la fin de 1841, à la cause de la protection agricole. Si on les oubliait, on n’aurait pas la mesure des griefs des tories de 1846, et l’on s’exposerait à être injuste envers eux. Je ne sais qu’une façon de donner une idée exacte des anciennes professions de foi de sir Robert Peel : c’est de recourir à ses propres paroles. Qu’on lise, par exemple, ce morceau choisi dans vingt discours animés du même esprit ; voici le refus que sir Robert opposait au free trade, patroné par les whigs : « Quand même, disait-il, vous pourriez me prouver que les vrais principes du commerce nous commandent d’acheter du blé sur le marché le moins cher, et de retirer de l’Angleterre les capitaux qui ont fertilisé nos terres de qualité inférieure,