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REVUE DES DEUX MONDES.

de 1852 ; mais les habiles gens se gardent bien d’aborder ce côté de la question. Loin de là, ils s’obstinent, en pécheurs endurcis, dans la mauvaise voie où ils sont engagés, promettant ce qu’ils ne pourront tenir, insultant maladroitement ceux qui les font vivre, et qu’ils devraient honorer. Il est vrai que leur rancune contre les écrivains et les éditeurs français, qui ne veulent plus être spoliés, a bien quelque fondement.

C’est sur les réclamations de ces écrivains et de ces éditeurs que succombe la contrefaçon. Leur voix a été entendue, elle le sera de plus en plus. Un de ces jours, la France reconnaîtra la propriété intellectuelle de la Prusse et de la Bavière, dont les lois nous offrent la réciprocité, et la contrefaçon belge sera chassée du territoire allemand, bien qu’elle menace (la pauvrette !) de porter ses officines à Leipzig. Quoi de plus simple, en effet, que le gouvernement français défende une gloire et une industrie de la France ? Voilà ce qui émeut les contrefacteurs Cans et Meline, eux qui ont eu la noble pensée de monopoliser l’honorable commerce de la contrefaçon à Bruxelles, qui ont imaginé une société commerciale pour étouffer et absorber toutes les autres à leur profit, qui ont voulu se créer une propriété littéraire vraiment, sans la payer et en niant celle des autres encore, et qui voient, hélas ! toutes leurs espérances englouties, une ruine imminente allant s’ajouter à toutes celles qu’ils ont faites. Leur trouble en est si grand, qu’ils invoquent en termes pathétiques le droit civilisateur, dont ils se proclament les ministres ! Ces intrépides disciples de M. Proudhon, qui ont déjà imprimé en tête de leurs plaidoyers : « La propriété littéraire n’est pas une propriété, » en viennent presque à dire : « La civilisation, c’est le vol. » Mais leur consolation, c’est d’ajouter : « Vous êtes des juges intéressés, puisque nous vous dépouillons. » Eh bien ! renvoyons-les au dernier numéro de l’Edinburgh Review, qui n’est cependant pas sous le coup de la contrefaçon de la société Cans et Bleline, et qui n’hésite point néanmoins à les traiter fort durement et nominativement de pirates.

La vraie question, la voici en dehors de toute invective (l’invective répugne, on le sait assez, à nos habitudes, quand nous avons devant nous d’honnêtes adversaires) :

Les auteurs et les éditeurs français défendent les droits de leur travail et de leur propriété. Les contrefacteurs Cans et Meline voudraient continuer à les violer sous le silence de la loi belge ; le sens moral est tellement oblitéré chez eux, qu’ils trouvent la chose toute simple, la plus simple du monde !

Telle est la situation réduite à ses véritables termes. Les honnêtes gens de tous les pays. prononceront ; ils prononceront d’autant mieux dans notre cause, quand ils sauront que la Revue des Deux Mondes, pour éteindre, en ce qui la touche, une industrie de rapine sans vergogne, sans utilité, funeste à la Belgique, dangereuse pour l’Europe, avait payé sa rançon comme un bâtiment arrêté sur mer en pleine piraterie, et que les libraires Meline et Cans sont encore sous le coup d’un jugement rendu contre eux contradictoirement, le 26 mai 1851, à Paris, pour avoir violé les conditions de la rançon.


Pour la direction de la Revue et la rédaction de l’Annuaire des Deux Mondes,

V. de Mars.


V. de Mars.