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moral et philosophique, dont la catastrophe finale n’est que le sanglant dénoûment ? Il aurait pu à bon droit y ajouter cet autre problème qui les résume tous : -par quels moyens empêcher que l’homme ne succombe sans cesse à l’erreur, ne livre parfois son ame à toutes les suggestions du mal, ne corrompe les plus nobles principes, et ne joue sans cesse dans les hasards les situations les plus merveilleuses ? Imaginez donc un 1789 accompli sans mélange de théories folles, sans faiblesses et sans déviations, par la conciliation libérale de la tradition et du progrès, des droits du roi et des droits du peuple ! Quelle merveille ! Nous ne disons point ceci pour diminuer le mérite de l’œuvre du M. Droz, mais pour faire sentir ce qu’il peut se glisser parfois de chimérique dans des thèses de ce genre, et combien il est facile de se créer un idéal rétrospectif. Quand un édifice est à demi écroulé, et que ses fondemens eux-mêmes sont menacés, sans doute il est utile de rechercher comment on aurait pu l’empêcher de tomber ; c’est l’œuvre et la moralité de l’histoire. À un point de vue actuel cependant, n’est-il pas d’une utilité plus directe de s’informer des moyens de relever l’édifice écroulé et de lui rendre une solidité durable ? C’est le travail commun de tous les esprits fidèles à l’ordre social, dont le but, il nous semble, doit être de rechercher bien moins ce qui les divise que ce qui les unit. Quant à nous, un des côtés par où la révolution nous paraît avoir exercé la plus triste influence, c’est qu’elle a justement déchiré l’ame de la France en introduisant partout les semences de division, — et à force de divisions, de déchiremens, de morcellemens de toutes les croyances, de toutes les convictions, de toutes les puissances morales, elle n’a plus laissé que deux sentimens en présence : d’un côté l’amour de la destruction jusqu’à la folie, — de l’autre la crainte de la révolution elle-même jusqu’à la terreur, jusqu’à l’acceptation de tout ce qui peut paraître préserver de ses excès.

Nous admettrions volontiers comme démontrée la thèse de M. Droz, rajeunie avec éclat par M. de Montalembert. Soit : la révolution aurait pu, à l’origine, être arrêtée ou dirigée ; elle s’est accomplie cependant, et elle a échappé à toutes les directions ; elle a eu ses conséquences morales et matérielles inscrites de toutes parts dans notre histoire, et elle est même toujours vivante. De plus, dans cette sanglante carrière se trouvent partout mêlés, souvent odieusement travestis, mais toujours en substance, ces principes qu’on a l’habitude d’invoquer comme l’apanage de la société moderne, — et c’est ce qui rend si redoutable le problème de la révolution française. Seulement, ce qu’il faut ajouter, c’est que plus les événemens marchent, plus il devient possible de dégager ces principes, dans ce qu’ils ont de bienfaisant, de leur dangereux alliage ; — plus il est apparent que la révolution proprement dite est incompatible avec l’élément nouveau aussi bien qu’avec l’élément traditionnel de notre société, — et plus il est visible en même temps que c’est dans l’alliance de ces deux élémens et de ces deux forces, devenues solidaires dans le péril, que réside le moyen de lutter victorieusement contre cette civilisation du mal dont M. de Montalembert retraçait les caractères avec une émouvante énergie. Au fond, le discours de M. de Montalembert ne nous paraît pas avoir un autre sens dans son ensemble. Il ne nous appartient pas sans doute de refaire l’histoire, de la recomposer hypothétiquement telle que nous voudrions qu’elle eût été ; ce qui est en notre pouvoir, c’est d’y lire avec fruit des yeux de l’intelligence, de nous instruire