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J’entends souvent considérer comme un progrès l’esprit de tolérance qui brise de toutes parts les vieilles lois anglaises ; mais si cette tolérance doit être le prix et n’est que le résultat du refroidissement religieux, elle arrivera à de tristes fins. Je conçois que M. Kingsley s’effraie des conversions catholiques. Ces conversions sont-elles un bien ou un mal pour l’Angleterre ? Cela ne nous regarde pas. Que le catholicisme gagne, selon nous, c’est un bien qui ne crée pas de dangers pour l’Angleterre. Le danger, c’est que le protestantisme ne vienne à mentir ; c’est qu’on ne vienne à découvrir qu’il était une erreur. Si ce jour arrivait jamais, l’Angleterre serait perdue ; elle n’aurait plus qu’à payer son expiation avec ses trésors amassés depuis trois siècles, qu’à rendre ses colonies et toutes les conquêtes qu’elle doit à sa religion, car c’est à sa religion seule qu’elle les doit. Nous avons pu, en France, devenir sceptiques sans trop de périls ; nous n’avions à perdre que nos ames, et Dieu sait pourtant les malheurs qui en sont résultés pour nous ! Mais notre grandeur nationale ne résultait pas aussi entièrement d’un principe religieux que la grandeur de l’Angleterre. Dans le temps où nous vivons, les catastrophes sont rapides et imprévues, et nous approchons avec vitesse du jour où les principes religieux succéderont aux principes politiques et se combattront mutuellement. L’Angleterre a été et est encore le champion du protestantisme ; du jour où elle le laisserait s’éteindre chez elle, quelle excuse aurait-elle aux yeux des nations ? quelle explication pourrait-elle donner de son histoire passée et présente ? J’entends d’ici ses ennemis s’écrier : Aucune, — si ce n’est un égoïsme colossal et un orgueil satanique !

Mais il n’en sera pas ainsi : les sombres nuages amoncelés s’évanouiront sans doute. L’Angleterre peut être fière de son état actuel, en dépit des signes sinistres qui depuis quelque temps s’accumulent. Nous voulons croire que ce ne sont que les ombres du tableau, et nous n’avons pour nous rassurer qu’à mettre en regard des éventualités possibles les faits réels et actuels, et à répéter avec un des personnages de M. Kingsley : « Regardez la somme énorme de bienveillance pratique qui lutte maintenant en vain contre le mal, il est vrai, mais seulement parce qu’elle est trop individuelle et trop divisée. Comment osez-vous, jeune homme, désespérer de votre nation, lorsque son aristocratie peut encore produire un Carlisle, un Ellesmere, un Ashley, un Robert Grosvenor, lorsque ses classes moyennes peuvent revendiquer un Faraday, un Stevenson, un Brooke, une Élisabeth Fry ? Quelle destinée que celle de cette terre, si vous aviez assez de foi pour voir tout ce qui vous honore ! Si je n’étais pas avant tout citoyen de mon pays, c’est Anglais que je voudrais être aujourd’hui.


EMILE MONTEGUT.