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ces choses aux sages et aux prudens, et de ce que vous les avez révélées aux simples et aux petits[1], » entendez bien, dit saint Augustin, le langage du Sauveur ; c’est aux simples et aux petits qu’il a révélé ses mystères, et non pas aux sots, non stultis, sed parvulis, aux humbles de cœur et d’esprit, et non pas aux ignorans orgueilleux qui veulent faire de leur bêtise triomphante le niveau de l’esprit humain. Jésus-Christ a condamné les sages et les prudens qui s’enorgueillissent et non ceux qui s’humilient ; il a condamné l’orgueil et non pas l’intelligence : tumorem se damnasse significavit, non animum. Oui, Dieu réprouve l’orgueil de la science et de la sagesse, mais ce n’est point pour approuver l’orgueil de la sottise et de l’ignorance. C’est aux simples que Dieu se révèle et non aux sots. Un sot est une bête qui n’est pas simple. La bête est aimable quand elle est simple et douce, même la bête humaine, et quand elle ne force pas sa nature. Le peuple croit que les idiots sont bénis de Dieu, parce qu’ils sont doux et simples. Je suis volontiers de son avis ; mais l’idiot orgueilleux ou l’idiot prémédité, l’idiot qui érige l’idiotisme en système et en théorie a beau me dire que Dieu ne se révèle pas aux savans et aux prudens, mais aux petits : je dis avec saint Augustin que Dieu se révèle encore moins à ceux qui se font une autorité de leur petitesse pour rapetisser les autres. Dieu est pour les humbles, et il est contre les niveleurs.

Le nivellement intellectuel et moral de l’esprit humain, voilà le fond de la doctrine de Jean-Jacques Rousseau : il n’y a rien là de chrétien, ni dans le principe ni dans le but. Quand l’ascétisme renonce au monde, c’est pour se donner à Dieu, et il ne se détache de la terre que pour obtenir le ciel. Quand Jean-Jacques Rousseau, au contraire, veut que son citoyen renonce au monde, à la science, à la liberté, qu’a-t-il à lui donner en retour ? Le bonheur de la vie purement animale et la félicité des brebis qui ne rencontrent pas de loup ! À ce compte, Dieu pouvait s’arrêter à la création des animaux et ne pas aller jusqu’à la création de l’homme. Et même pourquoi ne pas s’arrêter aux végétaux, dont la vie, moins remuante et moins passionnée que celle des animaux, me paraît plus heureuse ? Pourquoi même des végétaux ? pourquoi quelque chose ?


SAINT-MARC GIRARDIN.

  1. Saint Matthieu, chap. XI, verset 25.