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au souvenir de l’ambassadeur. « Il ne serait pas convenable, lui faisait-il dire par son interprète, que Théodose se fût joué de la crédulité de Constancius ; un empereur perdrait de sa dignité à faire un mensonge. » Il ajouta, comme une raison déterminante et un argument sans réplique, « que si le mariage se faisait, il partagerait la dot avec son secrétaire. » Voilà comment les affaires se traitaient à la cour du roi des Huns.

Enfin Attila, ayant éclairci tout ce qu’il lui importait de savoir, l’innocence de l’ambassadeur, la persistance de la cour impériale dans le complot contre sa vie, et le retour prochain de Vigilas, qui avait déjà quitté Constantinople, laissa partir les ambassadeurs dont la présence lui devenait inutile. Une lettre délibérée dans un conseil de seigneurs huns et de secrétaires de la chancellerie hunnique, sous la présidence d’Onégèse, fut remise à Bérikh, qui dut accompagner l’ambassade jusqu’à Constantinople. Quoique les Romains s’en allassent comblés de politesses et de présens, attendu que chaque grand de la cour, sur l’invitation du roi, s’était empressé de leur offrir quelques objets précieux, tels que pelleteries, chevaux, tapis ou vêtemens brodés, les incidens de leur voyage furent peu récréatifs et leur montrèrent, au sortir des festins et des fêtes, un côté plus sérieux du gouvernement d’Attila. À quelques journées de marche, ils virent crucifier un transfuge, saisi près de la frontière, et qu’on accusait d’être venu espionner pour le compte des Romains. Un peu plus loin, ce furent deux captifs probablement romains qui s’étaient enfuis après avoir tué leur maître hun à la guerre : on les ramenait pieds et poings liés, et on profita du passage des ambassadeurs, comme d’une bonne occasion, pour clouer ces malheureux à un poteau et leur enfoncer dans la gorge un pieu aigu. Leur compagnon de route, Bérikh, était d’ailleurs un vieux Hun de race primitive, sauvage, grossier, vindicatif. À propos d’une querelle survenue entre ses domestiques et ceux de l’ambassade, il reprit à Maximin un beau cheval qu’il lui avait donné, et ne cessa pas de murmurer tout le long du chemin. Finalement, à peu de distance du Danube, sur les terres romaines, l’ambassade rencontra Vigilas, qui en allait tout joyeux vers le but de son voyage, en compagnie, comme il croyait, mais en réalité sous la garde d’Esla.

Tel fut le premier acte de ce drame compliqué dont Attila faisait mouvoir les fils avec une si profonde astuce et une patience si opiniâtre. Il avait eu pendant deux mois entiers sous sa main les représentans d’un gouvernement qui conspirait contre sa vie, une ambassade dont le seul but était de le faire assassiner par les siens ; il pouvait invoquer, pour se venger ou se défendre, le droit des nations qu’on violait si outrageusement contre lui ; l’existence de tous ces Romains dépendait d’un signe de ses yeux, et ce signe, il ne le fit pas. Avec l’impartialité