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soit par la puissance, soit par la richesse : c’était presque le roi, si Attila était l’empereur. Ce comble de fortune, devant lequel les Huns de naissance s’inclinaient sans murmurer, Onégèse le devait aux moyens les plus honorables, à la bravoure sur le champ de bataille, à la sincérité dans les conseils, au courage même avec lequel il luttait contre les résolutions violentes ou les mauvais instincts de son maître. Il était près d’Attila le meilleur appui des Romains, non par intérêt personnel ou par souvenir lointain de son origine, mais par pur esprit d’équité, par un goût inné de ce qui tenait à la civilisation. La logique, si différente des faits, eût placé de droit un tel ministre près d’un prince civilisé et chrétien, tandis qu’elle eût relégué au contraire un Chrysaphius près d’Attila. Le roi hun, si absolu, si emporté, cédait à ce caractère ferme dans sa douceur ; Onégèse était devenu son conseiller indispensable, et c’est à lui qu’il avait confié l’éducation militaire et la tutelle de son fils aîné, Ellac, dans le royaume des Acatzires, dont Onégèse venait de terminer la conquête. Ramené sur les bords du Danube, après une longue absence, par le désir de revoir son père, ce jeune homme avait fait en route une chute de cheval où il s’était démis le poignet. Onégèse avait donc bien des choses importantes à traiter avec le roi, qui le retint toute la soirée : ce fut le motif de son absence au souper ; mais Maximin brûlait d’impatience de le voir pour lui communiquer les instructions de Théodose à son égard ; il espérait d’ailleurs beaucoup dans l’intervention de cet homme tout-puissant pour aplanir les difficultés dont sa mission était entourée. Il dormit à peine, et, dès les premières lueurs de l’aube, il fit partir Priscus avec les présens destinés au ministre. L’enceinte était fermée ; aucun domestique de la maison ne se montrait, et Priscus dut attendre ; laissant donc les présens sous la garde des serviteurs de l’ambassade, il se mit à se promener jusqu’au moment où quelqu’un paraîtrait.

Il avait fait à peine quelques centaines de pas, quand un autre promeneur, l’abordant, lui dit en fort bon grec : Khaïré, — je vous salue. Entendre parler grec dans les états d’Attila, où les idiomes usuels étaient le hun, le goth et le latin, surtout pour les relations de commerce, c’était une nouveauté qui frappa Priscus. Les seuls Grecs qu’on pouvait s’attendre à rencontrer là étaient des captifs de la Thrace ou de l’Illyrie maritime, gens misérables, faciles à reconnaître à leur chevelure mal peignée et à leurs vêtemens en lambeaux, tandis que l’interlocuteur de Priscus portait la tête rasée tout à l’entour et le vêtement des Huns de la classe opulente. Ces réflexions traversèrent comme un éclair la pensée de Priscus, qui, pour s’assurer de ce qu’était cet homme, lui demanda, en lui rendant son salut, de quel pays du monde il était venu essayer la vie barbare chez les Huns ?

— Pourquoi me faites-vous cette question ? dit l’inconnu.