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LES POPULATIONS OUVRIÈRES.

toute une famille groupée pour écouter une lecture à haute voix. Plusieurs villages ont des bibliothèques qui prêtent gratuitement des livres au dehors. En fait de journaux, ici comme à Munster et par les mêmes motifs, on ne lisait que les plus exaltés. Quelques feuilles modérées, bénévolement répandues dans les ateliers, n’étaient pas même dépliées. Le mouvement des intelligences appartient-il donc en réalité, malgré le calme de la surface, aux idées de désordre ? Non ; mais on associe à des instincts droits des désirs d’indépendance qui égarent quelquefois les esprits. Toute direction qui ne paraît pas sortir du rang des ouvriers devient suspecte. La presse radicale et socialiste avait réussi à faire croire qu’elle appartenait à la famille ouvrière : telle était la raison de l’accueil qu’elle recevait ; son succès moral était toutefois beaucoup moins étendu parmi les travailleurs de Wesserling qu’on ne le croyait généralement. Restés étrangers aux idées socialistes qu’ils s’expliquent mal et qui répugneraient à leurs sentimens, s’ils pouvaient s’en rendre compte, que prétendent donc les ouvriers de ce district ? Leurs désirs, comme ceux des autres clans, se résument en un seul vœu : avoir du travail. Or, on commence à comprendre assez clairement que sans le maintien de l’ordre, sans le respect des droits acquis, la production s’arrête, et qu’en même temps toutes les sources de l’aisance se ferment pour les individus.

L’organisation des clans peut se ramener à deux conditions fondamentales : patronage de la part des chefs, attachement à leur travail de la part des ouvriers. Cette organisation, nous ne prétendons pas la proposer partout comme un modèle. Née des circonstances locales, elle s’approprie à une situation donnée ; mais elle contient des élémens utiles à consulter par tous ceux que leurs fonctions rapprochent des masses laborieuses. La tendance vers le régime du clan est du reste un fait très frappant dans les mœurs industrielles de l’Alsace. Loin d’être particulière à ces colonies isolées où les hommes ont plus besoin de se grouper et de s’entr’aider, elle se décèle encore, quoique sous un aspect moins systématique, dans la plupart des grandes usines du Haut-Rhin, à Mulhouse, à Dornach, à Cernay, à Thann, etc. Presque partout vous êtes assuré d’avance de rencontrer des institutions intérieures qui cherchent à réunir les intérêts et à les placer sous l’égide d’une pensée commune ; mais dans les villes, à Mulhouse surtout, l’initiative propre à chaque fabrique est dominée par un effort collectif émanant soit de la communauté tout entière, soit au moins d’une partie des membres de la communauté. Là le tableau présente deux faces, l’action commune et l’œuvre purement individuelle ; des influences plus nombreuses qu’au sein des clans atteignent les ouvriers, et soulèvent des questions d’un haut intérêt pour la société.