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c’était plus encore la faute des événemens que la sienne, et il aurait eu cent fois plus de conduite et cent fois moins d’inexpérience, que la force des choses l’eût également dominé et vaincu. C’est ce que l’histoire du ministère qui lui succéda devait démontrer de la plus éclatante et de la plus tragique manière.

M. Mamiani s’était retiré le 2 août. Le saint père désirait extrêmement que M. Rossi prît les affaires. Elles étaient dans un tel état, que sa fermeté et ses lumières paraissaient seules désormais capables de conjurer une catastrophe. M. Rossi, outre les titres que son passé comme ambassadeur de l’ancienne cour de France lui donnait à la confiance du souverain pontife, en avait acquis de nouveaux auprès de tous les hommes éclairés des États Romains par la publication récente de trois lettres sur les conséquences de la révolution de février en France, en Allemagne et en Italie, qui avaient eu le plus grand retentissement. Les événemens de février avaient infligé à M. Rossi une troisième expatriation ; non-seulement ils l’avaient dépouillé de la grande charge politique qu’il occupait à Rome, mais ils lui avaient même enlevé la chaire modeste où il avait enseigné avec tant d’éclat à paris la science et le respect des lois. Il s’était considéré comme rendu à l’Italie par cette injure, et du fond de sa retraite à Frascati il n’avait cessé de considérer du plus attentif et du plus tendre regard le progrès de la révolution qui un moment avait paru aux sages eux-mêmes capable de rendre la péninsule à l’indépendance et de l’initier à la liberté. On l’avait souvent consulté dans sa solitude ; On l’avait trouvé prodigue de conseils toujours mûrement réfléchis, comme autrefois, mais dont la prudence s’était enhardie au spectacle du mouvement extraordinaire qui venait de bouleverser l’Europe.

M. Rossi aimait passionnément l’Italie. Tout désenchanté qu’il fût par les traverses d’une longue et aventureuse existence, tout froid, dédaigneux, sceptique même à certaines mauvaises heures, que quarante années de travaux, d’études et de désillusions l’eussent rendu, il avait éprouvé, à la nouvelle du soulèvement de Milan et de l’entrée en Lombardie d’une armée italienne, un enthousiasme patriotique qu’il avait exprimé dans les lettres dont j’ai parlé et dans toutes ses conversations avec une émotion contenue, mais visible. L’idée de devenir, non plus, comme à quelques mois en arrière, le conseiller secret de la papauté, mais son ministre officiel et actif, s’était emparée de son ame. Il avait vu, dès l’octroi de la constitution romaine, quel grand rôle le souverain pontife pouvait être appelé, par les événemens, à jouer en Italie, et son imagination, qui n’était pas moins ardente que sa raison n’était éclairée, lui avait représenté pour lui-même à côté du saint père une place digne de ses lumières, de son expérience et de son courage dans les hasards qui s’annonçaient.