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plus haut que la révolte du réalisme, du sensualisme, c’est-à-dire du besoin des jouissances de la vie terrestre contre l’ascétisme spiritualiste de la religion chrétienne, constitue l’essence même et l’idée de la légende de Faust, je ferai observer ici que cette tendance sensualiste et réaliste des penseurs de l’époque a dû se manifester subitement à l’aspect des monumens de l’art antique, à l’étude d’Homère, et notamment des œuvres originales de Platon et d’Aristote. Faust, — c’est la tradition qui le rapporte expressément, — s’était si bien identifié avec ces deux derniers philosophes, que si un jour, disait-il, ils venaient à se perdre, il se faisait fort de les rétablir de mémoire, comme Esdras refit la loi du Seigneur. Faust, toujours selon la tradition, s’était si bien épris d’Homère, qu’il faisait apparaître en personne aux yeux des étudians qui suivaient son cours sur ce poète les héros de la guerre de Troie. Une autre fois, il évoqua, pour l’amusement de ses convives, cette belle Hélène, que plus tard il exigea du diable pour lui-même, et qu’il garda, — la plus ancienne histoire de Faust nous l’apprend, — jusqu’à sa malheureuse fin. Widman omet ces diverses circonstances, et s’exprime ainsi :


« Je ne cacherai point au lecteur chrétien que j’ai trouvé en cet endroit telles aventures de la vie de Faust que des considérations de piété chrétienne m’empêchent de relater dans toute leur étendue, comme quoi le diable, pour le détourner du mariage, l’enlaça dans son infernal et abominable réseau de paillardise, et lui adjoignit pour concubine la fameuse Hélène, sortie des enfers, laquelle, en premier lieu, lui mit au monde un effroyable monstre, puis un fils du nom de Juste. »


Voici maintenant, dans la plus ancienne des histoires de Faust, les deux passages qui se rapportent à la belle Hélène :


« A la Quasimodo, lesdits étudians reparurent inopinément dans la demeure de Faust pour y souper avec lui, apportant avec eux manger et boire, lesquels étudians étaient d’aimables convives. Venant le vin à faire le tour de la table, la conversation tomba sur la beauté des femmes, de telle sorte que l’un d’entre eux se prit à dire que, de toutes les femmes, il n’en était aucune qu’il eût si grand désir de voir comme la belle Hélène de Grèce, à cause de laquelle avait péri la magnifique ville de Troie, devant être une fleur de beauté celle qui tant de fois fut enlevée, et à l’intention de laquelle si redoutable levée de boucliers avait eu lieu. — Puisque tant êtes avide de ce spectacle, dit Faust, et que vous voulez absolument voir cette reine Hélène, épouse de Ménélas, fille de Tyndare et de Léda, sœur de Castor et de Pollux, laquelle est dite avoir été la plus belle femme de toute la Grèce, je veux bien vous la présenter, afin que son esprit en personne vous donne une image de la forme et figure qu’elle avait de son vivant, ainsi que j’ai fait déjà de l’empereur Alexandre-le-Grand et de sa femme, à la requête de l’empereur Charles-Quint. — Sur ce, le docteur Faust leur défendit à tous de parler, de se lever de table et d’embrasser