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Voilà pourquoi le Faust n’a jamais été terminé, à moins qu’on ne veuille considérer le second Faust, cette œuvre caduque, née quarante ans après, comme le couronnement d’un tel poème. Dans cette deuxième partie, Goethe délivre le nécromant des griffes du diable ; au lieu de le précipiter dans les enfers, il le fait triomphalement monter au ciel entouré d’une ronde de petits anges, de petits amours catholiques, et le terrible pacte infernal qui tant de fois avait fait dresser les cheveux de nos ancêtres finit comme une farce frivole, — j’allais dire, hélas ! comme un ballet.

Mon ballet, à moi, contient tout ce qu’il y a d’essentiel dans la vieille histoire de Faust : tout en réunissant dans un faisceau dramatique les élémens de la légende, j’ai religieusement suivi la tradition jusqu’en ses moindres détails, je l’ai suivie telle que je l’ai trouvée dans ces livres populaires qui se débitent à nos foires, telle que je l’ai vue représentée, tout enfant, par les marionnettes ambulantes.

Ces livres populaires dont je viens de parler ne sont pas tous parfaitement d’accord : ce sont, pour la plupart, des compilations extraites de deux ouvrages fort anciens sur la vie de Faust, lesquels, avec les grimoires intitulés Clé des Enfers, forment les principales sources de notre sujet. Le plus ancien de ces deux ouvrages a paru à Francfort, en 1587, chez l’imprimeur Jean Spiess, qui pourrait bien aussi en être l’auteur, bien que, dans une dédicace à ses patrons, il affirme en avoir reçu le manuscrit d’un sien ami, résidant à Spire. Il y a dans ce Faust de Francfort une conception bien plus poétique, bien plus profonde, une bien autre intelligence du symbole que dans le second Faust publié à Hambourg, en 1599, par George-Rodolphe Widman. C’est ce dernier cependant qui s’est le plus répandu, peut-être parce qu’il est assaisonné d’admonitions homélitiques, et qu’il fait parade d’une pédantesque érudition. De ces deux livres, celui qui valait le mieux a succombé et est presque tombé dans l’oubli. Tous deux ont, du reste, une même tendance pieuse, tous deux sont composés dans les intentions les plus sages et pour détourner les chrétiens de toute alliance avec le diable. Quant à ces Clés des Enfers, troisième source que j’ai indiquée, ce sont des formules pour l’évocation des esprits, rédigées les unes en latin, les autres en allemand, et attribuées au docteur Faust lui-même. Elles offrent des variétés bizarres et sont répandues sous différens titres. La plus fameuse de ces Clés s’appelle l’Esprit de la Mer ; on ne prononçait qu’en frémissant ce titre redoutable, et le manuscrit était attaché avec une chaîne de fer dans les bibliothèques des cloîtres. Toutefois, par suite d’une téméraire indiscrétion, le livre fut publié, en 1692, à Amsterdam, chez Holbek, rue du Pont-aux-Choux (Kohlsteg).

Les livres populaires issus des sources que nous venons de rappeler