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saint Éloi ! s’écria-t-il, qui forge ainsi ? C’est le diable !… ou c’est toi, mon petit Rivié !

On voit que le grand Rivié avait été mis au monde tout exprès pour y faire quelque bruit. Il y fit un peu de bruit, il y fit beaucoup de bien. Pas un de ses parens qui n’eût sa part dans cette fortune. Chose étrange, et qui se voit pourtant assez souvent chez MM. les fournisseurs, plus le grand Rivié donnait, plus il était riche. Il finit par donner sa fille aînée à M. le marquis de Lusignan, et il faisait certes une belle parenté à la petite Rivié : d’un côté, la fée Mélusine ; d’autre part, le royaume de Chypre ; un peu plus loin, la couronne de Jérusalem, des princes partout. Malheureusement cette Lusignan-Rivié mourut sans enfans, et elle fut si complètement absorbée en cette illustre famille, qu’il en fut de sa dot comme du royaume de Chypre et de Jérusalem, un souvenir, une ombre, un néant. Eh bien ! voyez la misère des grandeurs humaines, l’humble dot de la jeune Mme Amans-Alexis Monteil portait sur une ancienne constitution de rentes qui provenait de cette Rivié-Lusignan ou Lusignan-Rivié, et jamais le petit ménage n’en put rien tirer. Souvent M. Monteil disait à sa femme : « Il faudra chercher votre fortune sur les brouillards de Chypre et de Jérusalem, ô vous, l’auguste alliée de tant de rois ! » L’autre part de cette dot, qui eût fait tant de bien et rendu tant d’utiles services à ces pauvres gens, était placée (écoutez ceci) sur un sixième de l’ancienne baronnie de Lugnas, antique château, sur les rives même de l’Aveyron. Hélas ! la principauté, la baronnie et les deux royaumes, — autant de brouillards ! Dans les momens de gêne (ils furent nombreux et cruels), M. Monteil écrivait à sa femme : A S. A. madame la baronne de Lugnas dans son ex-royaume de Chypre et de Jérusalem. Mais quoi ! il leur fallait si peu pour vivre ! Il était le plus laborieux et le plus ingénu de tous les hommes, il trouvait en cette jeune femme un sens droit, une ame juste, un esprit ferme. On eût dit que le ciel l’avait destinée à cette vie austère, à ce dévouement de tous les jours. Elle avait été élevée au couvent, où chaque mère et chaque sœur la voulaient retenir ; mais elle n’y voulut pas rester, pour avoir vu s’éteindre et mourir dans ses bras une innocente créature, belle comme les anges. Soeur Marthe avait à peine vingt-cinq ans, et - l’impatiente ! — elle avait prêté l’oreille aux accens d’un jeune homme du voisinage, qui venait chanter ses peines à minuit, sous les murs du couvent. Elle fut surprise au moment où, par une échappée à la muraille, elle tendait la main au beau chanteur. Alors, pour la châtier par une grande peur, on cite la sœur Marthe au tribunal des révérendes, et on la condamne à cette mort, d’une espèce particulièrement horrible, qui remonte aux premières gardiennes du feu sacré dans le temple de Vesta. Condamnée,