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La ville entière poussa un cri de douleur quand elle apprit l’escapade et l’engagement de son jeune bachelier. Il fallut courir après le régiment, qui relâcha volontiers ce jeune héros. Le voilà donc ramené chez son père, en grand triomphe, et malheur au veau gras ! Ces pauvres veaux, gras ou non, les malheureux pères de famille en ont-ils fait des hécatombes ! Eh ! Dieu ! que de sacrifices inutiles !… M. Jean Monteil n’a pas pleuré, j’imagine, au retour de cet enfant prodigue : il le savait tendre et bon, honnête et timide, chaste et loyal, et il l’abandonna à ses bons instincts. À cet âge de seize ans ; quand les études sont achevées, à ce qu’on dit, la première et la plus facile de toutes les passions, c’est la lecture ; et qui de nous, qui avons tant lu et tant lu, dans tant et tant de livres, ne se souvient, avec un ravissement voisin de l’ivresse, des intimes extases que laissent après elles les premières lectures à l’ombre des bois en été, dans la chambre écartée en hiver, la nuit et le jour ? Charmante obsession, visions décevantes, chers fantômes des poésies fugitives ! A peine ouvert, le livre nouveau laissait échapper des rayons, des étoiles, des mondes, des fièvres. Il est si beau, si vaste et coloré de tant de feux plus brillans que les feux mêmes du firmament, ce monde éthéré des romanciers et des poètes, des historiens et des philosophes, illustres génies, esprits fameux, obéissans ou révoltés, en plein doute…, en pleine croyance, qui nous ont révélé pour la première fois tant d’idées endormies au fond de nos amer, tant de passions réveillées au fond de nos cœurs ! « J’ai lu tous les livres qui me sont tombés sous la main, écrit M. Monteil, et même l’Histoire naturelle de M. de Buffon… ; de tous les livres que j’ai lus, c’est le seul dont il ne me soit rien resté. »

À force de lire, il s’aperçut que c’était à peine s’il savait écrire lisiblement une page suivie, et il s’en fut demander quelques leçons d’écriture aux frères de la doctrine chrétienne. Ceux-là riront, qui, se rappelant avec respect l’honnête et sainte misère, mêlée de propreté et d’orgueil, qui entourait le savant auteur de l’Histoire des Français, l’entendront raconter son entrée chez les frères : « J’étais poudré à frimas, je portais un habit couleur de rose, à boutons d’acier, on eût dit tous les diamans de la couronne ; le tout se complétait d’une paire de manchettes et d’une culotte de soie gorge de pigeon. » Aussi bien la classe entière, éblouie à l’aspect de cet ancien dragon, de cet ancien philosophe de dix-sept ans, se leva dans un transport unanime, et M. de Belcombe fut salué jusqu’à terre. « Il me semble que j’y suis encore aujourd’hui, ajoutait M. Monteil, et puis cela m’amuse, cela me plaît de me moquer de moi-même… » Il disait vrai ; il avait le sourire facile à son endroit, et jamais on ne l’a entendu parler de lui-même que de la façon la plus simple et la plus naïve. Il n’est occupé que des siens dans cette biographie, écrite à la fin de sa journée. À