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et des martyrs. Pourtant ils se croyaient bons catholiques, et si les subtilités du demi-arianisme pouvaient prendre en défaut ces théologiens des forêts, ils éprouvaient une profonde horreur pour l’arianisme pur, celui qui ravalait le Christ au-dessous de son père jusqu’à en faire une créature. Les évêques, absorbés par les soins d’une prédication laborieuse, ressemblaient en beaucoup de points au troupeau. Théophile, prédécesseur d’Ulfila, avait souscrit, il est vrai, les actes orthodoxes du concile de Nicée ; mais celui-ci adhéra au formulaire sem-arien de Rimini, que d’abord il ne jugea pas contraire au catholicisme ; puis, voyant beaucoup de signataires se rétracter, il se rétracta comme eux. Or, Valens prétendait qu’Ulfila revînt à son premier avis, et que, par son autorité que l’on savait toute-puissante, il imposât à ses frères les dogmes de l’arianisme mitigé : Valens mettait à ce prix le succès de son ambassade. Une fois le mot d’ordre donné, des docteurs insinuans, des évêques en crédit furent échelonnés sur le passage du barbare à travers l’Asie Mineure ; il en trouvait à chaque station qui, sous le prétexte de le saluer, se mettaient à le catéchiser ou se plaçaient à ses côtés dans le chariot pour le convertir chemin faisant. Au palais d’Antioche, ce fut bien pis ; quand il voulait parler des misères de son peuple, on lui répondait par des dissertations sur l’identité ou la conformité des substances. On le fatiguait d’argumens et de discussions pour le mieux enchaîner, et, pendant ces luttes inhumaines, le malheureux peut-être croyait entendre dans le lointain le cri de ses compatriotes aux abois, qui le suppliaient de les sauver. Au fond, il finit par n’attacher qu’une médiocre importance à des choses si subtiles et qui lui semblaient si obscures, il se persuada que l’ambition des évêques et l’acharnement de l’esprit de parti en faisaient seuls tout le mérite. Ce sont les motifs qui le déterminèrent à se plier aux volontés de l’empereur, si nous en croyons les historiens du temps, et le vieil évêque visigoth, après avoir courbé sous ces dures nécessités sa tête blanchie par l’âge et cicatrisée par le martyre, alla porter aux siens leur salut, qui lui coûtait si cher. Valens triomphait et se croyait un nouveau Constantin. Néanmoins, de peur qu’on ne lui pût reprocher de sacrifier la politique à la religion, il décida que les femmes et les enfans des Goths, au moins des Goths notables, passeraient les premiers et seraient envoyés dans les villes de l’intérieur pour y être gardés à titre d’otages, et que les hommes ne seraient admis à franchir le fleuve qu’autant qu’ils auraient déposé leurs armes. Au moyen de ces précautions sur la sagesse desquelles chacun s’extasiait, Valens crut avoir conjuré tout péril. Une flottille romaine fut chargée d’effectuer le transport des Goths, et des agens civils, sous les ordres d’un officier spécial, le comte Lupicinus, allèrent choisir les cantons où ce peuple de colons s’établirait, mesurer les lots, délivrer des vivres, du bois et des instrumens de culture.