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que la rigueur. Jamais encore le catholicisme n’avait passé de si mauvais jours : ses évêques étaient bannis, ses temples fermés ; partout en Orient le schisme et l’apostasie étaient provoqués par la corruption ou imposés par la violence. Cet homme qui n’avait eu long-temps de plaisir que dans les fatigues du champ de bataille, qui avait vaincu les Goths et les Perses, ne rêvait plus que théologie ; dans son abandon des affaires, on eût dit qu’il sacrifiait volontiers son titre de prince du peuple romain à celui de prince de l’église arienne.

Valens se livrait donc dans la ville d’Antioche, en compagnie de quelques évêques, ses favoris, à l’un de ces loisirs théologiques qui lui faisaient tout oublier, lorsque la nouvelle des événemens d’outre-Danube lui parvint par de vagues rumeurs. On racontait qu’une race d’hommes inconnus, — sortie des marais scythiques, — s’était précipitée sur l’Europe avec la violence irrésistible d’un torrent, culbutant les Alains sur les Ostrogoths, et ceux-ci sur les Visigoths, qui fuyaient devant elle comme un troupeau timide. D’abord on en rit comme d’une fable, attendu qu’à chaque instant il arrivait de ces contrées lointaines des bruits que l’instant d’après démentait ; mais il fallut bien y croire quand un courrier, venu à toute vitesse, apporta l’annonce officielle des propositions des Visigoths et du départ de leurs députés pour Antioche. La cour fut dans un grand émoi. Que fallait-il répondre aux envoyés ? quelle conduite conversait-il de tenir vis-à-vis des Goths ? Les hommes légers et les courtisans se récriaient sur le bonheur qui accompagnait l’empereur en toute circonstance : « Voilà, disaient-ils, que les ennemis de César sollicitent l’honneur de devenir ses soldats ; la terrible nation des Goths se transforme en une armée romaine devant laquelle la Barbarie tout entière devra trembler. Valens y puisera toutes les recrues dont il aura besoin, laissant le paysan romain à sa charrue ; les terres en seront mieux cultivées, et les provinces, qui ne paieront plus leur contingent militaire qu’en argent, verseront l’abondance dans le trésor de César. » Les hommes sérieux et prudens tenaient un tout autre langage. « Gardons-nous, répétaient-ils, d’introduire les loups dans la bergerie le berger pourrait s’en trouver mal. Un jour viendrait où, cédant à leur naturel féroce, les loups égorgeraient les chiens et se rendraient maîtres du troupeau. » Les argumens pour et contre furent débattus avec vivacité dans le conseil impérial ; Valens les écouta, puis il se décida par une raison que lui seul pouvait imaginer. Il déclara qu’il admettrait les Goths, s’ils se faisaient ariens.

Les Goths avaient reçu le christianisme à peu près de toutes mains ; ils comptaient même des hérésiarques parmi leurs apôtres. Le Mésopotamien Audaeus, qui enseignait que Dieu doit avoir une forme matérielle et un corps, puisqu’il a créé l’homme à son image, Audaeus, avec sa grossière hérésie, s’était fait parmi eux de nombreux prosélytes