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LE DERNIER RENDEZ-VOUS.

Si elle cède à cet autre sans cesser de m’appartenir, c’est véritablement alors qu’elle me trompe, non pas moi seulement, mais mon rival. Si au contraire ma maîtresse me quitte avant de lui céder, elle ne commet pas une trahison : elle est fidèle à son amour nouveau, qui ne se souvient plus de l’ancien. En pareil cas, l’amant quitté n’est pas trahi, et doit, s’il est sage, brûler les lettres et le portrait de son amie, en jeter les cendres au vent, et dire : J’ai rêvé.

— Dans le cas où Marie te quitterait ou te tromperait, que ferais-tu, toi ? ai-je alors répliqué.

— Elle et moi, nous sommes en dehors de semblables suppositions, m’as-tu répondu avec un accent de sécurité superbe. J’aime Marie de tout mon cœur, et elle m’adore.

— Mais un autre aussi peut l’aimer autant que toi, et elle peut l’adorer de même.

— Je suis sûr d’elle et sûr de moi.

— Cela est possible ; cependant la vie est longue, vous êtes bien jeunes tous les deux, et elles sont bien courtes ces éternités de fantaisie que les amans appellent toujours ! Qui sait ?… ai-je ajouté gravement, voulant te pousser à bout.

— Que signifient tes paroles ? pourquoi ce point d’interrogation suspendu là comme une menace ? Que veut dire ton qui sait ? — Que sais-tu donc toi-même ?

— Rien de plus que ceci : je suis jeune, Marie est belle, et tu nous laisses bien souvent seuls.

— Quoi ! tant de paroles pour si peu ! me répondis-tu avec un grand éclat de rire, et tu ajoutas en me frappant sur l’épaule : — Tu es mon ami, Urbain, et, de tous mes amis, tu es le dernier qui me causerait de l’inquiétude, si j’en pouvais avoir. Et maintenant allons rejoindre Marie. Je suis curieux de voir comment tu t’y prendrais pour lui faire la cour.

Ce que tu as oublié sans doute, c’est l’extrême dédain qui accompagnait ces paroles déjà dédaigneuses ; c’est ce regard qui tombait d’en haut en filtrant, pour ainsi dire, à travers tes paupières clignées ; c’était, sur ta lèvre, un sourire dans lequel on devinait une ironie aiguisée en pointe de flèche ; c’était le son de ta voix, je ne sais plus quel geste qui semblait jeter le gant du défi, toute ton attitude enfin pleine de provocation. Pourtant ce ne fut pas tout encore. Rappelle-toi, Olivier, la scène qui a suivi notre entretien dans la rue, quand nous eûmes rejoint Marie. Tout entière à la joie de te revoir, elle avait eu à peine le temps de t’embrasser, que tu te livras, à propos d’elle et de moi, à la plaisanterie la plus cruelle. Comme elle te faisait doucement quelques reproches à propos de ton absence, et dans ses paroles laissant, peut-être involontairement, percer une pointe de jalousie :