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à te dire. T’ayant cédé ma chambre, j’avais été obligé de prendre un logement dans un hôtel. Je m’y installai sur-le-champ, bien décidé à ne pas remettre les pieds chez moi tant que Marie y serait encore. Le lendemain de son arrivée, qui frappe à ma porte ? C’était toi ! Que me voulais-tu ? Rappelle-toi, Olivier, ce que tu vins me demander. Ne pouvant rester auprès de Marie pendant toute la journée à cause des occupations qui te retenaient dans la maison de ton père, tu venais me prier d’aller tenir compagnie à ta maîtresse durant les heures où tu serais absent. Forcée par la prudence à demeurer cachée, tu craignais qu’elle ne trouvât l’ennui dans l’isolement, et tu avais songé à moi pour la distraire. Ah ! quand tu me fis cette étrange proposition, mon secret a failli m’échapper ; un instant il est monté à mes lèvres. À quoi a tenu le silence que j’ai gardé cependant ? À quelques mots que tu m’as dits à propos de la mission que tu venais me confier : ce n’était sans doute qu’une plaisanterie innocente, comme il est permis d’en faire entre amis. Je suis sûr qu’elle n’avait dans ta pensée aucune intention ironique ; mais, dans la disposition hostile où mon esprit se trouvait alors, je m’efforçai à y démêler un sens confus, une allusion. Il me parut que tu avais deviné le secret que j’aurais voulu taire à moi-même, et que tu te faisais un jeu de la situation où je me trouvais, par ton fait, placé vis-à-vis de toi. Je m’imaginai n’être à tes yeux qu’un objet d’étude, qu’une machine à expérience : instruit de ma passion pour Marie, tu la mettais aux prises avec mon amitié pour toi, et, dans l’attitude d’un joueur qui attend le résultat d’un pari, tu me paraissais attendre le résultat de cette lutte. Il y eut presque de la joie dans la douleur que j’éprouvai en accueillant cette pensée, car elle me venait justifier l’instinct de haine qui depuis quelque temps déjà me faisait hésiter à te serrer la main. À compter de ce moment, je ne te considérai plus que comme un rival. Persuadé que tu avais connu mon amour pour Marie avant de l’amener chez moi, mon amour-propre s’irrita du singulier personnage que le tien voulait me faire jouer. J’allai même jusqu’à supposer que c’était chose convenue entre vous deux, et que Marie, instruite par toi de mes sentimens pour elle, avait accepté un rôle dans cette odieuse comédie. Ce fut sous le coup de ces impressions que j’acceptai la clé de cette chambre, où j’avais juré de ne point rentrer tant qu’elle serait habitée.

Tu peux imaginer à quel monologue je me livrais intérieurement. Insensé ! me disais-je, on a fait sonner à ton oreille les mots d’amitié et de dévouement, et tu t’es laissé prendre, comme un niais, aux manœuvres d’une hypocrisie doucereuse. Tu te faisais un remords d’aimer une femme aimée par ton ami, tu t’accusais de ton amour comme d’un crime, tu t’efforçais de l’étouffer dans ton cœur, dût ton cœur se briser ; mais, si discrète que fût ta passion, on l’a devinée, et, au lieu