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saient son front, dont la blancheur mate ressortait encore dans l’encadrement de sa chevelure noire et luisante. Depuis quelques instans, à cette pâleur, qui n’était point le hâle blafard d’une mélancolie de convention, ni d’une santé délicate, se mêlait peu à peu un coloris rosé qui semblait indiquer une transpiration de bien-être intérieur, et donnait à son visage une animation charmante.

Ils allaient ainsi tous deux par un beau chemin sous de grands arbres émus par la brise ; derrière eux et devant eux, partout la verdure ; ici des jardins, là des champs, plus loin les bois où le jaune automne commençait à jeter ses teintes fauves ; — sur leur tête, un beau ciel où l’été brûlait sa dernière fournée ; sous leurs pieds, l’herbe verte encore où leurs pas se moulaient à peine, tant leur démarche était légère, lui pressé d’arriver sans doute, elle pressée de le suivre. Certes, celui-là qui les eût ainsi rencontrés au bras l’un de l’autre aurait pu leur dire : D’où venez-vous ? mais il n’eût point songé à leur demander où ils allaient, car il aurait pu le deviner rien qu’au sillage amoureux que laissait leur passage. Cependant ils marchaient presque sans causer, échangeant à peine à de rares intervalles quelques mots indifférens qui n’avaient aucun rapport avec leur situation commune, parlant ainsi moins pour parler que pour entendre le son de leur voix et se prouver à eux-mêmes qu’ils étaient bien ensemble et que leur réunion n’était point un rêve.

Au bout de vingt minutes, ils étaient arrivés à l’extrémité du village de Ville-d’Avray et s’arrêtaient devant la porte d’un restaurant, où ils entrèrent. Le jeune homme demanda qu’on leur fît préparer à déjeuner. Le maître de cet endroit, demi-auberge, demi-cabaret, habitué à recevoir des couples citadins, leur offrit un cabinet ; mais elle et lui, d’un mouvement commun, répondirent en souriant qu’ils préféraient rester au grand air et qu’on les servît dans le jardin.

Quelques instans après, ils étaient assis en face l’un de l’autre, auprès d’une table rustique. Leur couvert avait été dressé sous un berceau de vigne folle, ayant vue sur les étangs de Ville-d’Avray, dont les eaux servaient de miroir aux collines boisées qui les entourent. Un groupe d’enfans jouaient sur les bords de l’étang. Les uns essayaient de mettre à flot une barque échouée au rivage ; les autres, ayant surpris les lignes oubliées par un pêcheur, luttaient entre eux à qui le premier jetterait l’hameçon, et pour une ablette qui venait mordre par hasard, c’était un chorus à fatiguer les échos. À cette rumeur enfantine venait se joindre, de la berge opposée, le battement du lavoir sonore, où la chronique du village fredonnait son cancan quotidien. Tout ce paysage charmant exposé dans un cadre lumineux, les figures rustiques et les bruits familiers qui l’animaient, furent pour celle et celui qui venaient de s’asseoir sous les pampres sauvages un spectacle dont la