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Sous ce grave et froid extérieur, un cœur chaud battait pour l’Italie, et c’était autant la sollicitude passionnée d’un patriote que la haute raison d’un homme d’état qui dictaient à M. Rossi les conseils qu’il donnait au saint père. Quarante ans de réflexions, de travaux et d’épreuves le mettaient à l’abri de toute illusion sur les difficultés du temps et les périls de la situation. À l’époque où il avait servi la. Suisse, il avait par lui-même, à Lucerne, appris à connaître, en essayant vainement de faire accepter aux cantons une réforme excellente de leur pacte fédéral, combien c’est un métier délicat et grave que celui de réformateur. Aussi multipliait-il au pontife les avertissemens, les adjurations, les supplications même ; il faisait toucher du doigt tous les obstacles, et il indiquait ou inventait toutes les ressources ; il dévoilait tous les périls, et il montrait toutes les voies d’en sortir ; à côté de chacune de ses critiques, il y avait un avis, et, à côté de chacun de ses avis, un moyen de le mettre en usage. Quelque grande que fût la situation, il la dominait autant par ses lumières que le généreux pontife qui l’avait fait naître par la sérénité de son ame.

Quelle fortune inespérée pour la religion, pour la liberté, pour l’Occident, pour l’Italie ! Un pape réformateur, acceptant pour conseiller un laïque élevé dans tout l’esprit de la révolution, et consommé dans toute la science de la sauver de ses excès en la gouvernant par ses principes ! Quel rêve ! et pourquoi tout cela s’est-il évanoui en effet ainsi qu’un rêve ? Où était donc le vice corrupteur de cette entreprise vraiment sage et vraiment grande, pour que, conçue par un pape tel que Pie IX et conseillée par un politique tel que M. Rossi, elle ait péri, ainsi qu’une conception chimérique, aux mains de novateurs vulgaires ? Le voici : la réforme des États de l’Église avait bien son promoteur, et elle avait bien son conseiller ; mais il eût fallu encore un homme d’action pour réaliser les généreuses intentions de l’un et pour pratiquer les sages avis de l’autre ; cet homme manqua. De là toutes les déceptions et toutes les afflictions qui s’en sont suivies.

Pie IX eut beau vouloir, M. Rossi eut beau conseiller ; les volontés du premier et les conseils du second s’en allèrent en fumée, parce qu’il ne se trouva personne à côté d’eux pour transformer en institutions les volontés de l’un, suivant les plans si sagement conçus par l’autre ; parce que, pour le malheur universel, personne alors à Rome ne se rencontra parmi les ministres du saint père qui eût à, un degré suffisant, je ne dirai pas seulement les qualités du réformateur, mais même de l’homme d’état des temps les plus ordinaires ; parce que sous les yeux de Pie IX, dont la bonté ne put qu’en gémir, et sous ceux de M. Rossi, dont l’ame ardente en sécha, la plus rare occasion du monde fut comme à plaisir dissipée par des hommes aux intentions les plus droites assurément, mais aussi à l’inexpérience politique la plus profonde