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riches que les institutions démocratiques contraignaient d’ailleurs à des libéralités où s’épuisait bientôt leur fortune, la classe des hommes libres n’échappait aux étreintes de la pauvreté qu’en y puisant chaque jour pour ses besoins particuliers. Chaque citoyen avait droit à un salaire payé par la république. Les orateurs étaient payés pour parler, leurs auditeurs étaient payés pour venir les entendre. Il n’était pas un acte de la vie publique qui ne fût tarifé ; chaque membre du sénat recevait sa drachme quotidienne pour droit de présence, et chacun des six mille juges ses trois oboles. À Athènes, on vivait de ses droits politiques comme à Rome, et ce régime est au fond le dernier résultat du système démocratique tel que le comprend encore aujourd’hui l’école païenne qui survit parmi nous au paganisme anéanti. Le salaire ainsi généralisé était donc une véritable taxe des pauvres : le peuple d’Athènes, comme celui de Rome, ne fut pas seulement nourri, il fut encore amusé aux frais de l’état, et tous les écrivains attestent que ce régime détermina en même temps et la ruine de la république, qui y perdit ses domaines, et l’indigence universelle, issue de la paresse et de la soif inextinguible des plaisirs.

Les principes d’économie politique qui prévalurent dans les sociétés antiques sont l’expression et le résumé de leur civilisation tout entière. L’hérédité et l’esclavage, le droit à l’oisiveté entraînant à sa suite le droit à l’assistance, l’intervention de l’état venant élargir le gouffre de la misère publique en tentant de le combler, — ce sont là autant de conséquences légales des croyances professées dans les temps antérieurs à l’ère chrétienne. Dans les sociétés païennes, les hommes naissaient en une sorte d’hostilité naturelle, et le système de Hobbes, qui nous répugne aujourd’hui comme une monstruosité, n’est au fond qu’un anachronisme. Naître Spartiate ou ilote, patricien ou plébéien, esclave ou maître, riche ou pauvre, c’étaient là d’aveugles fatalités du sort, d’insondables mystères destinés à rester sans solution au-delà de la tombe comme ici-bas. Le malheur ne donnait aucun droit à l’infortuné et n’imposait à l’heureux du monde aucun devoir. Si l’état se trouvait amené à soulager des souffrances intolérables, c’était uniquement parce que l’excès même de ces souffrances les rendait menaçantes pour sa sûreté. Dans ses actes, la providence sociale était exclusivement déterminée par des motifs de sécurité politique, car la charité n’avait pas plus de place dans les législations que dans les langues païennes.

Tel était l’état du monde, lorsque le christianisme en renouvela la face. La religion nouvelle n’attaqua aucune des institutions existantes, et ses disciples ne se dérobèrent pas plus aux chaînes de l’esclavage qu’à la hache des empereurs ; mais, en assignant à la vie un but tout différent de celui qu’on lui avait attribué jusqu’alors, elle donna un autre cours à la pensée humaine, et ce mouvement général des idées