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Le soulagement de la misère par l’action spontanée de la charité, c’est la civilisation chrétienne avec sa liberté, sa dignité, son activité constamment progressive en ce monde, et ses immortelles espérances au-delà du tombeau ; la suppression de la misère par la souveraine intervention de l’état, pour quiconque sait dérouler les replis confus d’une idée, n’est autre chose que le socialisme proclamant tous les maux de l’humanité guérissables par les lois.

La pauvreté remonte par sa généalogie jusqu’au berceau du monde. Platon raconte que, lors du grand banquet donné dans l’Olympe pour célébrer la naissance de Vénus, on vit apparaître tout à coup une jeune femme aux traits allanguis par la faim, qui tendait la main pour implorer les restes de la table des dieux : c’était la Misère ; elle naquit le même jour que la Volupté, et n’a pas cessé de la suivre comme l’ombre suit le corps. La terre était encore humide des eaux du déluge, que Job exhalait déjà ses plaintes immortelles et traçait des maux de la pauvreté un tableau qui n’a jamais été surpassé. Les chants d’Hésiode et d’Homère, et, parmi beaucoup d’épisodes de l’Odyssée, celui d’Ulysse long-temps caché dans sa patrie sous des haillons de mendiant, constatent que la mendicité était aux temps héroïques de la Grèce un état professé par une portion nombreuse de la population, qui vivait aux dépens des riches en implorant leur commisération, et souvent en les menaçant de ses vengeances. Les efforts tentés par Lycurgue pour exclure les mendians de Sparte, les théories rêvées par Platon pour écarter ce fléau de sa république idéale suffiraient pour constater que la misère ne sévissait pas moins dans les républiques grecques que dans les autres parties du monde antique, si d’ailleurs les comédies d’Aristophane, les dialogues de Lucien et tous les monumens classiques ne nous traçaient à chaque page de pittoresques peintures du costume, des mœurs et du langage des mendians gueusant du matin au soir sur l’Agora, aux abords des temples et des théâtres.

A. Rome, où le mal prit, comme le bien, des proportions gigantesques, la misère se développa dans une mesure qui n’a guère été dépassée dans nos plus malheureuses sociétés modernes. Quelques écrivains ont cherché l’origine du paupérisme dans l’émancipation des esclaves préparée par le christianisme, et ont prétendu que durant les périodes d’esclavage pur il n’avait pu y avoir de mendians, parce que chacun, étant ou maître ou esclave, possédait une certaine fortune, s’il était dans la première condition, ou se trouvait logé et nourri, s’il appartenait à la seconde. Une telle opinion ne supporte pas l’examen, car l’histoire constate que la misère avec toutes ses douleurs, toutes ses agitations et tous ses périls, préexistait de plusieurs siècles à cette émancipation qu’on voudrait présenter comme sa source unique. Rome allait encore chercher ses consuls et ses dictateurs à la charrue, que la pauvreté avait déjà poussé le peuple sur le mont Sacré et sur le Janicule ;