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ne demande rien à votre honte ; si vous pouviez voir au fond de moi, vous sauriez que je vous parle comme au prêtre qui a reçu ma première confession.

La jeune fille releva la tête ; son visage avait une expression sérieuse que le marinier ne lui avait jamais Nue ; elle arrêta sur lui un regard direct et ému.

— Je vous crois, André, dit-elle d’un accent très tendre. Je sais que vous êtes un homme de bonne renommée et de bon cœur, qui ne se plairait pas à tromper une pauvre créature dont le père et la mère sont sous le linceul ; aussi je ne vous répondrai point par des feintises, comme on le fait d’habitude avec les jeunes gens. Depuis que je vous connais, je n’ai vu en vous que grand courage et belle honnêteté, je vous estime plus que pas un de ceux de votre âge, et je n’aurai pas besoin de beaucoup m’encourager pour vous montrer une bonne amitié ; mais auparavant il faut que l’oncle m’en ait baillé la permission. Orpheline comme je suis, je n’ai point d’autre maître, et je veux lui obéir en tout. Faites donc que votre volonté soit sa volonté, et je puis vous promettre, mon André, que ce sera bien vite la mienne.

— À la bonne heure ! s’écria la voix d’un tiers.

Et l’oncle Méru, qui s’était approché sans bruit sur le prélart de la charreyonne, franchit brusquement le bordage du bateau. Il était suivi du père Soriel et de François, qui se tenait un peu en arrière, l’air penaud et sournois.

Les deux jeunes gens, surpris, avaient fait un mouvement de frayeur. Méru arriva jusqu’à sa nièce, à laquelle il prit la main.

— Tu viens de répondre là de braves paroles, dit-il avec émotion, et j’aurais voulu que toute la marine de la Loire pût les entendre. Embrasse-moi, tu es une honnête fille.

Entine lui sauta au cou.

— Seulement, ajouta le patron, il eût mieux valu les dire ailleurs qu’ici et à une autre heure ; les tête-à-tête au clair de lune sont malsains.

André se hâta d’expliquer comment leur rencontre avait été toute fortuite.

— Alors c’est autre chose, reprit le père Soriel, et François a menti quand il est venu nous avertir que vous vous étiez donné rendez-vous dans le futreau.

— Ainsi, c’est lui que j’ai entendu là tout à l’heure, dit Entine vivement ; que Dieu lui pardonne ? Mais, puisqu’il me croyait en faute, il eût mieux valu m’avertir en bon parent, que de s’enfuir pour me dénoncer.

François baissa la tête sans répondre.