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de belle venue, fortement bâti, le teint coloré, mais le front bas et le regard en dessous. La question du pêcheur le fit rougir.

— Puisque c’est à ma cousine que vous parliez, demandez-lui de vous répondre, dit-il avec une brusquerie embarrassée.

— Il voudrait bien, fit observer Méru en riant ; mais il n’a pas encore assez de malice pour la surprendre. Vois-tu, Prohibé, les mailles de tes filets ont beau être plus serrées que ne comporte l’ordonnance : les secrets d’une jeune fille passeront toujours à travers. Pas vrai, Entine ?

— Faites excuse, mon oncle, je ne comprends pas les termes de pêche ! répliqua-t-elle d’un air d’ignorance malicieuse qui fit rire tout le monde.

— Si François n’est pas ton galant, faut donc que tu en aies un autre ? dit Lézin. Voyons ! où y a-t-il un plus beau brin d’amoureux que ton cousin ?

— Cherchez, brave homme, répondit la jeune fille, dont les yeux restèrent fixés sur la quenouille, mais qui fit vers la droite un mouvement de corps instinctif que saisit le regard scrutateur de Prohibé.

— Eh bienl eh bien ! est-ce que ça serait donc le nouveau patron de la charreyonne ? demanda-t-il à demi-voix.

La jeune fille feignit de ne pas entendre et baissa la tête.

— C’est lui ! continua Lézin en éclatant de rire. Oh ! fameux ! Je comprends à cette heure pourquoi il a voulu appeler sa barque l’Espérance !

— Allons ! nous y passerons tous, dit le jeune marinier, qui rougit un peu, mais garda son air de bonne humeur. Décidément Antoine est devenu recteur et veut confesser toutes les jeunesses du pays.

— Ah ! tu crois rire ? reprit le pêcheur ; mais veux-tu que je te dise le nom de la fleur qui vous pousse au fond du cœur à toi et à la jolie Entine ?

— On ne vous le demande pas, maître Prohibé ! interrompit François d’un ton brusque.

— Et à toi aussi, mon gars ! ajouta l’imperturbable pêcheur ; à force de regarder au fond de la rivière, sais-tu ? on apprend à voir clair dans les ames. — Ici et là, c’est toujours de l’eau trouble. — Aussi je te dis que vous êtes deux à tendre vos lignes dans le même remous, l’un bravement, l’autre en sournois ; ce n’est pas André qui est l’autre ; comprends-tu à cette heure ?

— Je comprends, s’écria François en jetant à Lézin un regard en dessous tout imbibé de fiel ; je comprends que vous êtes un méchant gueux, qu’aujourd’hui ou demain il faudra forcer à se taire.

— Ah ! bah ! et comment donc, mon fils ? demanda Prohibé, qui regarda le jeune garçon en face.

— En vous fermant la bouche avec un verre de vin, interrompit