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assiégeans horrible, car, rabattant la flamme, il la rejetait sur eux de façon à les désespérer et à leur faire craindre que leurs propres machines ne fussent brûlées ; mais tout à coup le vent, tournant au sud comme par un décret de Dieu, reporta avec violence l’incendie sur la muraille et la mit en feu depuis la base jusqu’au sommet. Les Romains, ainsi favorisés par la Providence, rentrèrent tout joyeux dans leurs quartiers avec le dessein bien arrêté de monter à l’assaut le surlendemain. Pendant la nuit, ils redoublèrent de vigilance afin que pas un des assiégés ne pût s’échapper.

Une telle précaution était inutile. Éléazar ne songeait pas à la fuite pour lui-même, et il était décidé à ne permettre à personne de la tenter. Voyant son dernier rempart détruit par le feu, ne trouvant plus aucun moyen de salut, même dans le courage du désespoir, réfléchissant d’ailleurs aux affreux traitemens réservés par les Romains vainqueurs aux femmes et aux enfans, il se résolut à mourir avec tous les siens. Persuadé que c’était le meilleur parti qu’il leur restait à prendre, il réunit les plus braves de ses compagnons et les excita, par ses paroles, à accomplir cette effroyable résolution. Il leur fit voir les conséquences d’une capitulation, l’abjection de l’esclavage et les traitemens les plus infâmes. « Voilà sur quoi vous pouvez compter, si vous êtes pris vivans, leur dit-il ; demain matin, au point du jour, ce sera fait de nous, et il ne nous reste plus que la liberté de mourir avec tous ceux qui nous sont chers. L’ennemi, qui n’a d’autre espoir que celui de nous prendre vivans, n’est pas assez puissant pour nous empêcher de mourir. Vous n’êtes plus assez forts pour le vaincre. Vous saviez que Dieu lui-même était contre nous, et qu’il avait condamné à périr la race juive qu’il a cessé d’aimer ; s’il nous eût été propice, ou du moins s’il ne nous eût pas maudits et condamnés, pensez-vous qu’il eût permis que la ville sainte fût détruite de fond en comble ? Nous qui restons les derniers de notre race, qu’a fait Dieu pour nous ? Il nous a accablés de sa colère. Cette forteresse inexpugnable, à quoi nous a-t-elle servi ? ces munitions, ces armes, qu’en avons-nous pu faire ? Rien. La flamme qui frappait nos ennemis est revenue sur nous-mêmes. N’est-ce pas la colère de Dieu qui nous a vaincus ? Si nous avons des fautes à expier, que du moins les Romains n’aient pas la joie d’être l’instrument de la vengeance divine : soyons-le nous-mêmes. Nos femmes, tuées par nous, échappent à l’outrage, nos enfans à la servitude : après eux donnons-nous mutuellement la mort ; nous aurons sauvé notre liberté et gagné une noble sépulture. Détruisons d’abord nos trésors et la forteresse, nous tromperons ainsi la cupidité des Romains. Ne laissons après nous que les vivres, pour qu’ils sachent bien, ces Romains, que nous n’avons pas été vaincus par la famine, et que nous avons mieux aimé mourir que devenir leurs esclaves. »

Ainsi parla Éléazar, mais tous ceux qui étaient présens n’accédèrent