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matière de navigation. Allons au fond des choses : ce n’est là, en réalité, qu’une manifestation nouvelle de cet antagonisme qui existait autrefois dans ces parages entre l’Espagne et le Portugal. Le Brésil et Rosas ont recueilli chacun l’héritage de ces haines. Depuis long-temps, le territoire oriental est le champ de bataille où éclatent périodiquement ces séculaires hostilités. Le traité de 1828, qui a érigé la Bande Orientale en état indépendant sous la médiation de l’Angleterre, avait précisément pour but d’instituer un intermédiaire destiné à amortir cet antagonisme traditionnel. Comment ce traité a-t-il été exécuté ? À vrai dire, il ne l’a point été du tout, et il ne l’est point encore. Si, depuis quelques années, Rosas a pu être accusé de menacer l’indépendance de la République Orientale, le Brésil, en ce moment, nous paraît défendre trop chaudement cette indépendance pour ne point la menacer quelque peu. Au reste, l’attitude directement offensive prise par le gouvernement brésilien contre le général Rosas fait évidemment de cette question une question de vie ou de mort pour le dictateur argentin, et crée tout au moins un péril très grave pour le Brésil lui-même, qui n’est point sans faiblesses intérieures faciles à exploiter. Jusqu’ici, Rosas n’a point agi ; il s’est contenté de dénoncer à l’Angleterre, médiatrice dans les stipulations de 1828, la violation de ce traité par le gouvernement brésilien. Il se fonde sur ce que la puissance décidée à reprendre les hostilités était tenue d’en avertir l’autre six mois avant, et d’en donner connaissance à la puissance médiatrice. Nous devons attendre les résultats prochains d’un conflit ainsi remis au sort des armes, à moins que la médiation déjà offerte par l’Angleterre ne soit une fois encore acceptée par les deux états sur le point d’en venir aux mains.

Mais dans ces complications nouvelles quelle sera, dira-t-on, l’attitude de la France ? M. le contre-amiral Suin vient en ce moment même d’être nommé au commandement de la station de la Plata ; une nouvelle mission diplomatique va cingler vers ces contrées. Nous n’avons pas, cela se conçoit, la prétention de pénétrer les instructions du gouvernement. Le rôle de la France, quant à nous, nous semble bien simple. Si nous avons depuis si long-temps dépensé notre argent et nos efforts pour préserver l’indépendance de Montevideo contre les empiètemens et les tentatives de Rosas, il est évident que nous ne saurions abandonner aujourd’hui cette indépendance, si elle était menacée d’un autre côté. Il est dans nos droits et dans notre devoir de la défendre par toutes les ressources de l’action diplomatique. Quant au surplus, nous l’avouons, le passé nous sert de leçon. La France sait ce qu’il en coûte de vouloir favoriser la guerre ou imposer la paix, de jeter son nom, en un mot, au milieu de querelles qui ne sont point les siennes. N’a-t-elle point un rôle suffisant dans la défense pure et simple de nos nationaux et de notre commerce ? Si dans ces derniers temps la France a senti le prix de se dégager des compromis accumulés de quinze années, et de ne mesurer son action qu’à son propre intérêt, c’est une règle dont il ne nous semble pas fort utile de se départir aujourd’hui.

Quand nous parlons de ce mouvement qui tend sans cesse à s’accroître entre l’ancien continent et le Nouveau-Monde, un épisode qui s’y rattache par quelque côté, bien qu’entièrement dépourvu de caractère politique, vient frapper notre esprit : c’est l’épouvantable incendie du paquebot l’Amazone, qui pour la première fois faisait le trajet entre l’Angleterre et Chagres. Ce tragique épisode a un caractère plus particulièrement douloureux pour nous, puisqu’un de