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Noves et Béatrice Portinari. Quel que soit le charme du Décaméron, où les histoires tragiques tiennent presque autant de place que les récits joyeux, il n’est pas permis cependant de mettre Boccace, pour l’expression de l’amour, entre Dante et Pétrarque. M. Chenavard a donc très bien fait d’assigner à Boccace le fond du tableau. La réunion de ces trois poètes, qui ont fondé la langue italienne, offre un ensemble gracieux qui s’accorde à merveille avec l’idée que ces trois noms réveillent. Quand je parle de grace, c’est des lignes seulement que j’entends parler, car les visages d’Alighieri et de Pétrarque respirent le recueillement et l’austérité.

Luther déchirant les bulles du pape dans l’église de Wittenberg n’a peut-être pas toute la grandeur que nous aurions le droit de souhaiter. Bien que la tête de Luther exprime très bien le courage dont il est animé, bien que son regard semble prévoir et défier le danger de la lutte où il s’engage, je crois que l’auteur n’a pas compris toutes les conditions du sujet, ou du moins, s’il les a comprises, il ne s’est iras cru obligé d’en tenir compte. Il n’y a pas assez d’auditeurs groupés autour de la chaire de Luther. Un tel acte devait s’accomplir en présence de la foule, et je pense que M. Chenavard eût agi sagement en amassant la foule au pied de la chaire. Il ne faut pas en effet que la guerre contre la papauté se déclare à huis clos : pour qu’elle garde son vrai caractère, il faut que le peintre nous montre, comme l’historien, Luther s’adressant à la multitude et non pas à quelques initiés. Au reste, la faute que je signale n’est pas difficile à corriger. Le personnage de Luther étant bien conçu, il ne reste plus qu’à remplir l’église d’une foule attentive. Je pense que M. Chenavard, éclairé par la réflexion, comprendra la justesse de cette remarque, et modifiera le caractère de sa composition.

J’arrive au Siècle de Louis XIV, car les compositions intermédiaires ne sont pas achevées : le siècle de Colbert et de Racine, de Molière et de Pascal, de Labruyère et de Bossuet, n’a pas été compris par l’auteur moins finement que le siècle d’Auguste. Louis XIV, assis devant une table avec Colbert et Louvois, discute avec eux des plans d’administration et de guerre. Racine et Boileau s’entretiennent de leurs projets et marchent d’un pas lent au milieu des statues et des fleurs, tandis que Mme de Montespan, du haut d’une terrasse, effeuille des roses sur la tête de son royal amant. Il y a dans cette composition une élégance, une coquetterie, qui conviennent parfaitement au sujet. L’étude des affaires poursuivie au milieu des plaisirs est très nettement caractérisée. Demander à M. Chenavard pourquoi il a réuni Louis XIV, Colbert et Louvois dans le parc de Versailles serait une chicane puérile. Le droit qu’il s’est arrogé n’a rien qui Messe le goût. Il ne s’agit pas, en effet, de savoir si Louis XIV traitait les affaires de la France