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n’est pas la passion populaire qui se soulève et brise, c’est une ame populaire capable de faire ses conditions en connaissance de cause. Concédez sans rougir qu’une garde civique obtenue n’est pas l’esprit civique vivant et veillant. Citoyens, ces passementeries que vos yeux se tordent à regarder sur votre épaule, ces épaulettes promenées au milieu des admirations et des amens de la foule qui vient les jours de fête se rassasier du beau coup d’œil, ne sont pas de l’intelligence ni du courage. Hélas ! si elles ne sont pas le signe de quelque chose de bien noble, elles ne sont rien, car chaque jour vous ornez vos brunes génisses d’une grappe de franges qui leur frôle les joues, et elles, qui ne l’ont pas demandé, continuent à branler leur lourde tête en charriant votre vin et en portant leur joug de bois comme elles ont appris à le faire le premier jour. Ce qu’il vous faut, c’est la lumière, non pas certainement celle du soleil (vous avez lieu de vous émerveiller en levant les yeux vers les insondables cieux qui entretiennent la pourpre de vos collines), mais la lumière de Dieu organisée dans quelque grande ame, dans quelque esprit roi, de taille à conduire un peuple qui se sent et qui voit ; car, si nous soulevons un peuple d’argile, il retombe comme une masse d’argile. C’est toi qu’il nous faut, ô maître souverain, éducateur qui n’es pas trouvé. Que ta barbe soit blanche ou noire, nous t’adjurons de sortir de terre et de dire la parole que Dieu t’a donnée à dire. Viens souffler dans le sein de tout ce peuple, au lieu de la passion, la pensée qui sert d’éclaireur à toute passion généreuse, qui purifie du péché, et qui sait sonner la bonne heure. »

La même raison se fait sentir partout. Mme Browning connaît et indique parfaitement les dangers à éviter, les fautes qui ne doivent pas être commises, les conditions que l’Italie doit remplir d’abord pour pouvoir arriver à l’indépendance. Pour ma part, je n’en sais pas plus long qu’elle ; mais, en dernier terme, quelles sont ses conclusions ? Comment juge-t-elle les événemens ? Sur qui fait-elle porter ses indignations et ses espérances ? Sur tous ces points, je le répète, le jugement ne me paraît pas à la hauteur de la raison. Après avoir dit si éloquemment comment la lumière de Dieu, organisée dans une haute tête, pouvait seule sauver les peuples, elle a bien de l’admiration pour les démocraties de la rue. Après avoir si bien dit que la force brutale était comme les batailles de l’enfance, qui se sert de ses poings faute d’avoir une intelligence pour parler, elle témoigne beaucoup de sympathie pour le parti des violences. Jusqu’à trois fois elle glorifie le nom de Brutus, et son amour pour la justice a parfois manqué de justice, j’en ai peur.

Ceci, je l’avoue, je ne le dis pas tout-à-fait en vue du poète, je le dis beaucoup en raison de l’attitude que certains organes de l’opinion publique en Angleterre ont prise dans ces derniers temps. Certes, je suis loin de soupçonner de mauvaises intentions, je n’entends pas attribuer un nouveau machiavélisme à la perfide Albion (soit dit en passant, il