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avec la volonté et comme avec la mission spéciale d’affranchir les colonies, autant qu’il serait possible, de toutes les entraves politiques, commerciales, industrielles, administratives, qui pesaient encore sur elles au bénéfice ou au détriment de la métropole. Sa maxime générale, c’est que les colonies sont d’autant plus prospères et apportent une part contributive d’autant plus grande à la fortune et à la puissance de la mère-patrie, qu’elles sont plus libres, et que l’autorité métropolitaine les aide plus sincèrement à entrer dans la voie du self-government. La théorie est très belle, mais on conçoit que dans un empire qui, indépendamment des immenses possessions de la compagnie des Indes, compte quarante-cinq colonies répandues dans toutes les parties de l’univers, la plus légère tentative de réalisation a dû froisser une multitude infinie d’intérêts de tout genre. Aussi n’est-il pas étonnant que, de tous les collègues de lord John Russell, lord Grey soit le plus attaqué, et que souvent il ait été réduit à l’impossibilité d’appliquer ses principes. Il l’a pu faire cependant dans l’hémisphère méridional pour la terre de Van Diémen, pour la Nouvelle-Galles du Sud et ses sœurs de l’Australie, pour la Nouvelle-Zélande, pour le cap de Bonne-Espérance, monde nouveau qui éclot aujourd’hui à la vie avec tous les pronostics du plus brillant avenir, empire à part que les mers unissent plutôt qu’elles ne le divisent, constellation spéciale dont les astres procèdent de la même création et s’élèvent ensemble à l’horizon des choses humaines, animés qu’ils sont d’une vie commune par la fraternité des races, de la religion, de la langue et des intérêts.

Ne fût-ce que pour la part de vie qu’il a donnée à ces états nouveaux, la page consacrée à lord Grey dans l’histoire coloniale de l’Angleterre sera belle encore. Je ne sais si je me fais illusion, mais, à contempler ce qui se passe dans ces lointaines régions, il me semble qu’il s’y prépare pour l’autre hémisphère quelque chose d’analogue à ce qu’on vit dans les temps antiques, lorsqu’à la suite des premiers siècles de barbarie la civilisation naquit tout à coup sur les bords enchantés de la mer de Grèce avec les colonies que le hasard d’événemens ignorés y amena presque simultanément en Égypte, en Crète, dans l’Attique ou sur les rivages de la molle Ionie. C’est un pressentiment qui peut paraître aventureux ; pour moi cependant, c’est déjà plus qu’une espérance, c’est presque une riante certitude qui m’inspire néanmoins un regret, le regret de voir la France, amoindrie et de plus en plus oubliée hors de l’Europe, compter pour si peu dans le travail de ces destinées nouvelles.


XAVIER RAYMOND.