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il n’eût pas été étonné de ce changement ; il n’eût pas été surpris non plus de voir Joseph, au sortir de cette conférence, se diriger en toute hâte vers le champ où travaillait sa sœur et lui demander pardon. Entre le vieux Juif et la Juive convertie, les douces paroles du sermon sur la montagne ont rétabli le lien brisé par dix années de haine. Si Joseph n’a pas renoncé à sa religion, il s’est affranchi du moins des sombres fureurs du fanatisme ; un rayon de l’Évangile a transformé son cœur. Est-ce son grand-père, est-ce Jésus de Nazareth qui lui a enseigné cette mansuétude ? Peut-être ne le sait-il pas d’une manière précise ; mais les paroles qui ont anéanti en lui le vieil homme jettent sur ses pas comme une lumière mystique et couvrent toute la distance qui le séparait de sa soeur. Joseph a acheté un champ auprès de celui de Madeleine ; il laboure, il sème, et les blés grandissent sous la bénédiction du bon Dieu. « Que de semences encore, ajoute l’auteur en terminant, que d’autres semences plus précieuses vont se développer peut-être et fleurir avec grace en ce domaine propice ! »

Bien que M. Léopold Kompert ne dogmatise jamais, il est impossible de ne pas être saisi vivement par les problèmes que nous font entrevoir ses récits. Lorsqu’on vient de fermer ce livre, la pensée s’élève sans effort aux réflexions les plus sérieuses. Quelle doit être, se demande-t-on, la fin de cette douloureuse histoire ? Quelle satisfaction sera donnée aux droits des tribus asservies, quel adoucissement à leur misère ? À cette première question, la réponse ne saurait être douteuse ; la réforme accomplie chez nous, en ce qui concerne les relations de l’hébraïsme avec les autres cultes, s’étendra peu à peu à toutes les nations civilisées. Qu’il y ait des Juifs dans le domaine des idées religieuses, rien de mieux ; du moins n’y en aura-t-il plus au sein de la société civile. L’union des croyances ne se réalisera pas avant que la réconciliation se soit opérée sur le terrain de la vie ordinaire, dans le domaine commun des devoirs et des droits sociaux. Le fond de l’hébraïsme, c’est cet esprit exclusif et insociable qui, depuis les luttes d’Israël et des Amalécites, lui a enseigné comme premier dogme l’orgueil de race et le mépris du genre humain. Plus vous retenez la famille juive en dehors de la société moderne, plus aussi vous entretenez la sombre et solitaire ardeur qui a nourri son existence séculaire. On l’enferme en elle-même pour l’affaiblir ; on l’exalte au contraire, et on multiplie ses forces. Appelez-la dans le foyer commun. Déjà les lumières du christianisme enveloppent les Juifs de toutes parts ; que sera-ce lorsqu’ils ne seront plus séparés de nous par d’odieuses barrières, lorsqu’ils seront associés à nos droits et à nos devoirs ! Croit-on que pour certaines contrées de l’Europe cette émancipation serait aujourd’hui prématurée ? Répondre affirmativement, ce serait s’enfermer pour toujours dans un cercle vicieux ; les difficultés qu’on oppose à cette réforme sont précisément