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de la ville pour v attendre le convoi. Quand Dominique passa devant la calèche où étaient ses amis et qu’il vit encore les petites mains de Pepina qui applaudissaient le vainqueur, il sentit plus d’orgueil et de satisfaction dans son ame que s’il eût été Trajan lui-même et qu’il eût soumis les Daces au joug de l’empire romain. En arrivant au marché aux poissons, il descendit de sa charrette, et se déroba aux curieux pour se glisser dans la foule comme un simple particulier. Le cocher de don Giuseppe menait ses chevaux au pas, de peur d’écraser les passans. Pepina, qui tenait sa main posée sur le bord de la calèche, eut un sursaut en sentant quelqu’un lui presser doucement le bout d’un doigt. Elle pencha la tête hors de la voiture, et reconnut Dominique suivant à pas de loup par derrière. Le bonacchino la regarda en joignant les mains d’un air timide et suppliant. C’était la première fois que Pepina assistait à la pêche des thons, et ce spectacle terrible l’avait remuée profondément. Il lui sembla qu’elle sortait d’un tournoi où le chevalier le plus vaillant avait combattu pour elle et demandait à porter ses couleurs. Dans l’ivresse du plaisir, elle oublia la distance qui la séparait du pauvre pêcheur, et, sans savoir ce qu’elle faisait, elle jeta son mouchoir à maître Dominique, qui le saisit au vol et le couvrit de baisers.

Le vainqueur des thons brossa religieusement sa bonacca pour se rendre à l’invitation du marchand bonnetier. Portant un gros morceau de poisson cru sur une planche ornée de feuilles de laurier, il exécuta son entrée sans gaucherie et sans prétention, avec cette liberté par laquelle un bon Sicilien sait répondre à une hospitalité cordiale. Don Giuseppe le complimenta de son adresse à piquer les thons, dame Rosalie de la vigueur de son bras, et Faustina fit autant de frais pour lui que s’il eût été inspecteur-général des madragues.Pepina lui parut un peu sérieuse, et il devina qu’elle rêvait à l’affaire du mouchoir. Au rebours des lazzaroni de Naples, qui en pareille rencontre auraient prêté à rire par leur gourmandise et leurs lazzis, Dominique sut garder sa petite dignité. On lui servit de bonnes portions, et les jeunes filles lui versèrent à boire. Après le souper, on prit le café dans le jardin ; tandis que don Giuseppe cherchait le châle de dame Rosalie pour la préserver du serein, et que Faustina rangeait les tasses, Pepina s’enfonça dans une allée tournante en faisant signe à Dominique de la suivre.

— Et mon mouchoir ? lui dit-elle tout bas.

— Je l’ai là, sur mon cœur.

— C’est précisément ce que je craignais. Il faut me le rendre.

— Vos ordres sont sacrés pour moi. Le voici. Reprenez-le, répondit Dominique en rendant le mouchoir. À présent, que pouvez-vous