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le traître Gaëtano me paraît affreux lorsque j’y songe. Oh ! non, je ne pouvais pas deviner cela. Que Faustina garde son monstre d’amant, je ne lui dirai rien. Cette étrange rencontre est un véritable coup du sort, un bonheur incroyable. Jamais pareille chose n’est arrivée à personne sur la terre. Mon Giulio ne trahira pas sa Pepina. J’ai commis une étrange erreur en ne reconnaissant pas tout son mérite dès le jour où je l’ai vu. Je lui serai fidèle jusqu’à mon dernier soupir, et c’est par la constance, par la durée de ma tendresse pour lui, que je vais différer des autres femmes, à ce point qu’il n’y aura rien absolument de commun entre elles et moi.

Un à-compte de quatre jours s’était écoulé sur l’éternité de cette liaison nouvelle, lorsqu’en ouvrant la petite porte du jardin, Pepina vit, de l’autre côté de la ruelle, Dominique debout contre le mur, immobile et les bras croisés comme une caryatide. Le bonacchino lui fit signe qu’il avait à lui parler.

— Signorina, dit-il en ôtant son bonnet, n’ayez pas peur d’un homme qui se ferait rompre les deux bras à votre service. Je ne suis qu’un pêcheur de thons, et l’on n’apprend pas les belles manières dans la vie des madragues ; mais je sais ce qu’on doit aux femmes beaucoup mieux que certains seigneurs qui racontent leurs amours dans les cafés.

— Que parles-tu d’amour et de cafés ? demanda Pepina. Pourquoi cet air mystérieux ?

— Puisque j’ai commencé, je vous dirai tout. Je suis affligé de voir une personne devant laquelle je voudrais me prosterner servir de passe-temps à des fats. Hier, à la tombée de la nuit, deux jeunes seigneurs, assis dans un café de la rue Cassaro, causaient ensemble sans remarquer un homme qui prenait une limonade à trois pas d’eux et qui pouvait les entendre. Ils se racontaient comment ils avaient troqué leurs maîtresses : c’étaient sans doute deux jeunes filles dont les maisons et les jardins se touchaient, car ces beaux seigneurs disaient en riant qu’ils s’étaient trompés de porte, et que leur stratagème avait réussi.

— Est-ce que l’un de ces jeunes gens s’appellerait Giulio ? demanda Pepina en pâlissant.

— Oui, signorina, répondit Dominique ; l’autre se nomme Gaëtano, et celui qui les écoutait porte le même nom que votre serviteur.

— Il ne suffit point, reprit Pepina, de dénoncer les gens ; il faut témoigner en face du coupable et le confondre en présence du juge.

— Je suis prêt à soutenir la vérité non-seulement devant le tribunal libre des bonacchini, mais encore devant les gendarmes et les robes noires, quoiqu’ils viennent de la terre ferme.

— Tu vas témoigner tout à l’heure dans ce jardin, où le tribunal