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III

Les Siciliens sont grands observateurs du repos. De midi à quatre heures, pendant la belle saison, tout le monde va dormir. On ferme les boutiques, et le soleil darde à loisir ses rayons dans les rues désertes. Si vous entrez chez un marchand au coup de midi, fût-ce pour demander un objet de six francs qui se trouve à portée du bras, on vous le refuse et on vous renvoie à un autre moment, au risque de manquer une si grosse affaire. La maison de don Giuseppe et celle de dame Rosalie se touchaient, et les deux jardins n’étaient séparés que par un mur. Pepina, en faisant le guet à travers sa jalousie, avait remarqué souvent certaines promenades en tête-à-tête dans le jardin de la voisine tandis que les grands parens dormaient ; l’exemple de Faustina lui avait enseigné l’heure et le lieu propices aux rendez-vous. Connaissant les intentions honnêtes de son amoureux, elle n’avait point hésité à employer la même méthode. Le lendemain de la fête, quand la chaleur et le sommeil eurent engourdi les sens du bonhomme Giuseppe et qu’on n’entendit plus d’autre bruit que le bourdonnement des mouches et le murmure du petit jet d’eau, Pepina descendit tout doucement, traversa le jardin et ouvrit la porte de derrière qui donnait sur une ruelle. À vingt pas, elle aperçut le seigneur Gaëtano qui se glissait le long du mur ; elle lui fit signe de venir bien vite, le prit par la main et le conduisit au pied d’un palmier, sur un banc de gazon, où ils s’assirent tous deux tremblans de crainte.

Ce fut Pepina qui retrouva la première l’usage de la parole. Elle en profita amplement pour faire le récit de tout ce qu’elle avait rêvé, pensé, senti, souffert et espéré depuis la veille. Son cœur, si vide jusqu’alors, était déjà encombré d’émotions au milieu desquelles l’amour avait poussé en une nuit, comme la fleur du cactus. Elle n’oublia rien, malgré la confusion de ses idées, et il fallut que Gaëtano fit à son tour un exposé sincère et non abrégé de ses sentimens. Ils parlèrent beaucoup du bonheur de s’aimer et d’être ensemble, mais point de leurs affaires, en sorte que les quatre heures du repos s’écoulèrent sans qu’ils ’eussent arrêté aucun plan. Les fenêtres s’ouvrirent, et, à travers le feuillage d’un néflier, les deux amans virent la grosse figure de maître Giuseppe, qui se frottait les joues avec une serviette. Gaëtano n’eut que le temps d’échanger deux ou trois baisers avec son amie, de prendre rendez-vous pour le lendemain et de s’esquiver.

On devine aisément à quel but ce jeu périlleux devait conduire une fille sans expérience dans un climat où la nature violente se rit des bons desseins, des sages résolutions, et même de la défiance. À la seconde entrevue, Gaëtano se plaignit de l’importunité du soleil, et les