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de nouveau sous voiles, nous flattant de pouvoir atteindre le mouillage de Wossung avant le coucher du soleil.

Tant que l’on aperçoit l’île Gutzlaff, les îles Sha-wei-shan et les roches Amherst, on peut connaître sa position et rectifier sa route ; mais, dès que ces îlots ont disparu, on se trouve à la merci de marées violentes et irrégulières, sans autre guide que la sonde ; la rive à demi noyée du Yang-tse-kiang, que l’on aperçoit alors vers le sud, n’offre à l’œil qu’une ligne indécise. C’est du côté de ce rivage boueux, qui se prolonge sous l’eau par une pente presque insensible, que se rencontre le meilleur chenal. Là du moins, le fond ne monte que lentement, et si l’on échoue, ce sera sur un fond de vase, et non point sur un fond de sable mouvant comme en présentent les bancs du nord. Ce fut pour avoir cherché à suivre le milieu du fleuve, où devait se rencontrer la plus grande profondeur, que la corvette se trouva exposée à l’un des plus sérieux dangers qu’elle ait courus pendant sa longue campagne. Les îles Gutzlaff et Sha-wei-shan avaient disparu depuis quelque temps, et nous faisions route au nord-ouest avec un sillage de quatre ou cinq noeuds. Le courant nous portait, sans que nous pussions le soupçonner, directement sur les bancs du nord. En quelques minutes, au lieu de vingt-six pieds, la sonde n’en accuse plus que vingt-quatre, puis vingt-deux, puis dix-huit. L’ancre, toujours prête à mouiller, tombe à cette dernière soude. Sur l’avant de la corvette, on ne trouvait plus que seize pieds d’eau. Il fallait se hâter de sortir de cette position : la mer baissait, et, à l’embouchure du Yang-tse-kiang, la différence de niveau entre la haute et la basse mer atteint près de cinq mètres. En moins de dix minutes, nous pouvions être échoués. Une fois arrêtés sur ce banc, nous devions nous trouver à sec quand la marée serait basse, et il était douteux qu’on pût empêcher la corvette, avec ses formes si fines, avec ses flancs si peu faits pour un échouage, de s’abattre sur le côté. La Bayonnaise avait heureusement, pour la tirer de ce mauvais pas, un équipage plein d’ardeur et des officiers aussi dévoués que capables. Une ancre mouillée dans une direction convenable assura notre appareillage, et, bientôt rentrés dans le véritable chenal, nous nous dirigeâmes vers la côte du sud, de laquelle nous ne voulûmes plus nous écarter.

Les jours de calme et de soleil sont rares pendant l’hiver sur les côtes septentrionales de la Chine. Une brume froide et pénétrante ne tarda point à envahir l’atmosphère, et le vent, qui semblait le matin oser à peine gonfler nos voiles, fraîchit si brusquement, qu’à cinq heures du soir notre sillage avait atteint une rapidité effrayante. Ayant à peine trois ou quatre pieds d’eau sous la quille, obligés de prêter une oreille attentive aux sondeurs, nous suivions les contours de la rive méridionale avec une vitesse de onze milles à l’heure. Si nous