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dont ils maniaient leurs pagaies, il était facile de juger qu’ils n’étaient point complètement rassurés. Ils ne nous atteignirent qu’après avoir fait plus d’une pause. Des porte-haubans de misaine on leur jeta une amarre ; ils la saisirent ; nos voiles furent de nouveau orientées, et nous continuâmes notre route vers le port de Nafa ; mais ce fut en vain que nous invitâmes les pêcheurs qui nous avaient ainsi accostés à monter à bord. Ils nous refusèrent obstinément ce dernier témoignage de confiance. Nous avions rencontré au début de notre campagne, non loin du port de Falmouth, à l’extrémité du comté de Cornouailles, un vénérable quaker qui vivait au milieu des oiseaux de son jardin comme Adam au milieu des premiers hôtes du paradis terrestre. À sa voix, rossignols et rouge-gorges accouraient sans crainte, se posaient sur son épaule, ou, battant l’air de leurs petites ailes, venaient saisir une miette de pain jusque sur ses lèvres. Il eût fallu sans doute la patiente douceur de ce bon M. Fox pour apprivoiser nos fauvettes oukiniennes. Pour nous, l’expédient dont nous nous avisâmes fut loin d’avoir le succès que nous nous en étions promis. Pendant que le patron de la pirogue, vieux marin à barbe grise, dirigeait, tout en fumant sa pipe de bambou, sa fragile nacelle dans le sillage de la corvette, pendant que ses deux compagnons reposaient nonchalamment assis au fond du bateau, nous nous servîmes sournoisement de l’amarre qu’ils avaient acceptée pour attirer peu à peu la barque trop farouche le long du bord. Nous avions compté sans la prudence de son équipage. La corde qui traînait la pirogue après nous, au lieu d’être attachée aux bancs ou à la proue comme de coutume, était tenue à deux mains par un des pêcheurs. Dès que les méfians insulaires s’aperçurent du projet qui menaçait leur indépendance, celui qui tenait la remorque ouvrit les mains, et en un instant la pirogue se trouva hors de nos atteintes. Nous n’avions qu’à mettre une de nos embarcations à la mer pour vaincre de gré ou de force des scrupules que nous avions peine à comprendre ; nous aimâmes mieux respecter la faiblesse de ces pauvres gens jusque dans ses plus étranges caprices. Ne se voyant point poursuivis, ils se décidèrent à recourir à leurs pagaies, et il leur fut facile de nous rejoindre. Nous ne nous exposâmes pas à les effaroucher une seconde fois ; seulement, de la dunette, nous essayâmes d’entrer en communications avec eux. On jeta deux pains dans leur pirogue, on leur envoya du tabac, du vin, et, singulier trait de délicatesse de la part de ces malheureux insulaires qui ne semblaient posséder que leur barque pour tout trésor, ils versèrent le vin dans un tube de bambou et voulurent nous rendre la bouteille. Nous avions espéré que la langue anglaise, qui s’est répandue à la suite des baleiniers américains sur presque tous les points de l’Océanie, ne serait pas complètement inconnue aux pêcheurs des îles Lou-tchou ; mais, au premier essai que nous fîmes