Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On n’a point oublié que M. le contre-amiral Cécille, en quittant les Îles Lou-tchou au mois de juillet 1846, y avait laissé, en qualité d’interprètes destinés à servir un jour aux communications du grand empire de France et du modeste royaume d’Oukinia, deux missionnaires français, M. Leturdu et M. Adnet. Les autorités de Choui, fort inquiètes de voir Mgr Forcade ainsi remplacé, avaient adressé leurs doléances à la cour de Pe-king. L’amiral, sollicité par le vice-roi Ki-ing, avait promis qu’un des navires de la division irait bientôt mouiller devant Nafa et ramènerait à Macao les deux étrangers dont la présence causait de si vives alarmes au gouvernement oukinien, La perte de la Gloire et de la Victorieuse avait retardé l’exécution de cette promesse qu’il était de notre devoir d’accomplir. Le 25 août, à dix heures du matin, nous aperçûmes la terre. La côte se présentait sous la forme de deux petites îles basses, dont nous ne paraissions pas éloignés de plus de quatre ou cinq lieues. C’était une illusion due à l’extrême transparence de l’atmosphère, car ces deux îles n’étaient en réalité que les plateaux allongés qui dominent la pointe méridionale de la Grande-Oukinia, dont douze lieues au moins nous séparaient encore. Le calme qui survint nous empêcha de mieux reconnaître la terre avant le coucher du soleil ; mais, pendant la nuit, les courans nous entraînèrent rapidement vers le nord, et les premiers rayons de l’aube dessinèrent nettement les contours de l’île que nous n’avions fait qu’entrevoir la veille. Avec le jour s’éleva une faible brise de sud-est qui, enflant peu à peu nos voiles, nous fit bientôt glisser d’un sillage plus rapide sur une mer transparente et bleue comme le ciel qu’elle réfléchissait. Nous venions de passer non loin de débris épars de mâtures, triste ouvrage du dernier typhon, quand le matelot placé en vigie sur la vergue du petit hunier signala tout à coup une embarcation qui se dirigeait vers la corvette. Nous crûmes un instant que la fortune nous envoyait des naufragés à recueillir ; mais cette frêle embarcation, rencontrée si loin de la côte, n’était qu’une pirogue des îles Lou-tchou, montée par trois pêcheurs oukiniens. À la brusque manœuvre qu’avait faite la corvette pour courir au-devant du canot inconnu qui semblait réclamer son assistance, les trois pagaies s’arrêtèrent à la fois, et la pirogue cessa de bondir sur les vagues, dont sa proue dispersait en volutes d’écume la cime presque imperceptible. Nous vîmes les pêcheurs se lever l’un après l’autre et contempler avec un air de doute et d’inquiétude la Bayonnaise alors immobile, sa noire carène, sa longue rangée de canons, son immense voilure. Ils parurent se consulter sur le parti qu’ils devaient prendre. Tous trois se rassirent enfin et recommencèrent à voguer vers la corvette ; mais, à la façon