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ordres desquels marche cette indolente milice, les alcades qui administrent les districts d’Umata et de Merizo, sont alors convoqués et consultés par le gouverneur. Il est d’autres occasions où le premier fonctionnaire de la colonie est tenu de faire appel aux lumières de cette junte supérieure ; mais, lorsqu’il ne s’agit point de matières judiciaires, le gouverneur des îles Mariannes n’est nullement enchaîné par les résolutions qu’il a provoquées, et c’est sa volonté seule qui décide.

Si un pouvoir absolu et sans contrôle réside entre les mains du délégué de la couronne d’Espagne, les institutions municipales n’en jouent pas moins un grand rôle dans l’île de Guam. Une sorte d’élection à deux degrés y désigne au choix du gouverneur, par la voix des notables de l’île, des gobernadorcillos, des tenientes de justicia et des alguaziles, magistrats indigènes qui reçoivent pour insignes de leurs, fonctions la canne d’or ou la canne à pomme d’argent (el baston), et le rotin vénéré des Indiens à l’égal des faisceaux des licteurs (el bejuco), C’est par l’intermédiaire de ces officiers municipaux que s’exécutent, avec une ponctualité remarquable, les règlemens de police et les divers commandemens de l’autorité supérieure.

Tel est le gouvernement officiel des îles Mariannes, le seul dont le mécanisme peu compliqué frappe d’abord les regards ; mais, à côté de ce gouvernement visible, il existe une influence occulte et prépondérante à laquelle chaque Indien a voué dès l’enfance une obéissance volontaire. Les augustins déchaussés, qui succédèrent aux jésuites en 1767, n’ont rien perdu de la puissance morale des premiers missionnaires. Pour les habitans des Mariannes, ces membres du clergé espagnol n’ont, jamais cessé d’être les représentans de la Divinité sur la terre et les seuls protecteurs que puisse invoquer l’Indien contre les vexations de, l’autorité séculière. Ce n’est que par le prestige de ce caractère sacré, et surtout par ces relations de bienveillant patronage, que peut s’expliquer l’incroyable empire qu’exercent encore aujourd’hui sur l’esprit de la population les curés d’Agagna et d’Agat. Ces deux religieux sont les seuls prêtres valides dont se compose le clergé des îles Mariannes. Des deux autres pasteurs auxquels est confiée la conduite de, ce troupeau fervent et docile, l’un, le curé de Merizo, paraît atteint, d’aliénation mentale ; le second est un Indien infirme et presque octogénaire qui ne peut plus quitter la ville d’Agagna. On imaginerait difficilement un contraste plus complet que celui que présentaient les curés d’Agagna et d’Agat, le padre Vicente et le padre Manoël, tous deux membres de la même communauté, tous deux entourés d’un égal respect par leurs paroissiens. Carliste ardent et exilé politique, le padre Vicente avait tout oublié, les grandes plaines de la Manche, qui l’avaient vu naître, le ciel bleu et serein de l’Espagne, les amis dont la main avait serré la sienne au départ, le drapeau même sous lequel