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dans des sphères plus hautes et plus troublées, il faut, pour être digne de ses destinées nouvelles, qu’elle renonce à ces enthousiasmes de convention qui compromettent à la fois l’autorité de ses jugemens et les objets dont elle s’occupe. Ce qu’il y a de plus contraire aux intérêts sérieux de l’art, ce ne sont pas les critiques rigoureuses attaquant les célébrités véritables : ce sont les louanges complaisantes multipliant les célébrités factices.

A. DE PONMARTIN.


COMPTES DE L’ARGENTERIE DES ROIS DE FRANCE AU XIVe SIÈCLE, publiés d’après les manuscrits originaux, par L. Douet d’Arcq[1]. — Le livre dont on vient de lire le titre est tout simplement un livre de ménage, mais ce ménage est celui des rois de France, et les comptes remontent au XIVe siècle. À cette date déjà si loin de nous, les renseignemens les plus minutieux ont une incontestable valeur historique, et la publication de M. Douet d’Arcq ne peut manquer d’intéresser tous ceux qui cherchent à pénétrer dans les secrets de la vie du passé. À partir du XIVe siècle, on voit paraître à la cour de France un économe qui, sous le titre d’argentier, était chargé de tout ce qui concernait l’habillement et les meubles à l’usage des princes et des grands officiers de leur maison. C’était l’argentier qui traitait avec les fournisseurs, courait les marchés et les foires pour acheter des objets rares et précieux, et pourvoyait au cérémonial des sacres, des noces, des obsèques, des fêtes et des festins. Comme tous les comptables, il tenait des livres de recettes et de dépenses, et l’on comprend combien des documens de ce genre sont utiles à l’histoire du costume, des arts, de l’industrie et des mœurs.

Le volume de M. Douet d’Arcq contient les comptes de Geoffroy de Fleuri, argentier de Philippe-le-Long (1316), ceux d’Étienne de La Fontaine (1352), le journal de la dépense du roi Jean en Angleterre, la dépense du mariage de Blanche de Bourbon, et un inventaire du garde-meuble dressé en 1353. Le savant éditeur a de plus ajouté à sa publication une notice, dans laquelle sont résumés avec beaucoup de science et d’exactitude quelques-uns des faits principaux qui ressortent des textes. S’il est dans tout ce qui se rattache à l’étude des usages du passé une question difficile, c’est assurément, dit avec raison M. d’Arcq, celle du costume. Cette étude, tentée plusieurs fois, est encore à faire, et nous regrettons, pour notre part, que le volume qui nous occupe concerne exclusivement les rois et les grands personnages. Quoi de plus bizarre en effet, de plus curieux à étudier que cette société bariolée du moyen-âge, où chaque classe, chaque profession avait ses habits particuliers, comme elle avait ses lois, ses privilèges exceptionnels ! C’est surtout aux XIIIe et XIVe siècles que cette variété éclate avec une originalité singulière. Les hommes et les femmes portaient, suivant les actes du concile de Montpellier, des étoffes chargées de figures fantastiques, qui leur donnaient l’apparence de monstres ou de diables. Les dames de la noblesse laissaient traîner derrière elles les queues de leurs robes longues comme des queues de serpens ; les bourgeoises, enrichies par les progrès toujours croissans de l’industrie et du commerce, marchaient la tête ornée de couronnes d’or ou d’argent. Les gens de loi, la barbe rase, la chevelure longue, étalée par derrière sur les épaules et descendant sur les yeux par devant, étaient vêtus d’une espèce de soutane et d’un manteau long, agrafé

  1. Paris, Renouard, 1851, 1 vol. in-8o.