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d’alcool ou ces vins capiteux dont il faut redouter l’ivresse. En vérité, ce n’était pas trop la peine de se poser ailleurs en paladin du passé, en disciple fervent des Soirées de Saint-Pétersbourg, pour finir par nous donner une centième édition des marquises de M. Sue, et nous raconter une histoire de fascination toute sensuelle, un mauvais rêve écrit comme un mauvais livre. Joseph de Maistre, avouons-le, a fait là un singulier élève.

À quelle école, à quel modèle sied-il de rattacher l’Ombre du Bonheur, par Mme la comtesse d’Orsay ? Nous serions très embarrassé de le dire. Évidemment Mme d’Orsay s’est fort préoccupée de Mme Sand ; elle l’a lue beaucoup, et elle l’a un peu imitée. Comme l’auteur d’Indiana, elle s’est proposé de refléter ses impressions intimes, de les encadrer dans une fiction romanesque, et elle a cru que son livre était fait, parce qu’elle en portait les chapitres dans ses souvenirs. Cette méthode, on le voit, n’a rien qui s’éloigne de la mode actuelle, accréditée par d’illustres exemples. On commence par mettre un roman dans sa vie, puis on met sa vie dans un roman ; rien de plus simple, et nous aurions, à ce compte, autant de chefs-d’œuvre qu’il y a eu de cœurs préférant les émotions et les aventures à la monotonie des sentiers battus et au calme des affections régulières. Malheureusement, l’auteur de l’Ombre du Bonheur a oublié que, pour écrire une œuvre de quelque valeur, il fallait autre chose qu’une date personnelle dans cette histoire générale des enchantemens et des mécomptes de la passion ; elle a oublié qu’un peu d’art, d’invention et de style n’y gâtait rien, et qu’il était imprudent d’éveiller en nous les souvenirs d’élégance mondaine et littéraire que son nom rappelle, pour ne nous offrir qu’une fiction banale, écrite d’un style incorrect et vulgaire. Mme d’Orsay, dans sa préface, annonce l’intention de réhabiliter la femme, tantôt comme ange déchu, tantôt comme ange gardien. Tous ces anges-là, ce nous semble, appartiennent à un paradis bien bourgeois, et lady Blessington n’en eût pas voulu dans son antichambre.

N’y a-t-il donc pas eu, dans la courte période qui vient de finir, trace d’une inspiration originale qui ne soit pas le reflet affaibli ou exagéré d’œuvres déjà lues, de talens déjà proclamés ? Tout en reconnaissant que cette période a été peu féconde, qu’elle n’a pas eu les riches et splendides floraisons de l’époque précédente, il est juste cependant de saluer quelques noms nouveaux dont l’avènement servira plus tard, en littérature, à marquer ce moment rapide. M. Henry Murger est bien de cette date, et, quoique tout chez lui ne soit pas original, quoiqu’on sente parfois se lisser à travers ses récits le souffle d’Alfred de Musset, il y a pourtant, dans cette physionomie nouvelle, assez de piquant et de grace pour qu’on puisse indiquer déjà ou du moins prédire son rang et sa place. Après l’aimable succès des Scènes de la Vie de Bohême, nous avions craint un instant que M. Murger n’eût fait un pas en arrière. Ses Scènes de la Vie de Jeunesse n’étaient, à vrai dire, qu’une seconde épreuve de son premier livre, épreuve poussée au noir, et où les tendances réalistes devenaient si excessives, que l’auteur, au lieu d’interpréter la nature ou même de la copier, semblait vouloir ne nous donner que des études d’amphithéâtre, d’après le cadavre ou l’écorché. Son dernier ouvrage, le Pays latin, dissipe heureusement toutes ces craintes. Nous avons peu à apprendre à nos lecteurs sur les qualités de cette œuvre qu’ils ont pu apprécier sous un autre titre. Nous devons seulement