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tenant à l’une et à l’autre chambre du congrès serait formé pour féliciter l’hôte des États-Unis et lui communiquer l’assurance du profond respect du peuple américain ; mais aussitôt une difficulté s’est présentée. Fallait-il féliciter M. Kossuth et le recevoir comme représentant de la Hongrie, comme ex-gouverneur, comme homme politique, ou bien simplement comme un individu dont les doctrines étaient sympathiques aux États-Unis, comme un simple ennemi des tyrans ? C’est sur cette question qu’a porté la discussion. Peu à peu, le projet du général Foote a été abandonné, et une proposition de MM. Seward et Hale, ardens abolitionistes qui n’avaient pas habitué le congrès à de tels actes de sagesse, portant qu’une réception serait faite à M. Kossuth, mais qu’il serait reçu comme simple individu, a été adoptée dans les deux chambres du congrès.

Si le monde officiel s’est montré timide, en revanche les Yankees se sont montrés comme toujours empressés et curieux. Aux dernières nouvelles, New-York était plein de tumulte, et Philadelphie faisait ses préparatifs de fête. Les maisons étaient pavoisées de drapeaux aux mille couleurs, les rues étaient encombrées, les fenêtres garnies de spectateurs avides d’entendre l’illustre Magyar, pour parler comme les journaux américains, qui en est à peu près à son quarantième discours. Si la proportion est aussi forte dans toutes les villes où M. Kossuth passera ou séjournera, le chiffre total de ses discours sera imposant. Rendons justice d’ailleurs aux qualités oratoires du tribun magyar ; vous l’avez vu en Angleterre constitutionnel et aristocrate : ici la transformation est complète, le voilà démocrate autant qu’un Yankee ; rien n’égale l’habileté avec laquelle il remue son auditoire, et M. Webster lui-même ne s’y prendrait point mieux pour toucher l’orgueil et les passions de ce peuple curieux. On débarque à Staten-Island, l’officier de santé de la quarantaine, M. Doane, s’avance pour féliciter l’arrivant ; l’ex-dictateur répond en termes solennels et pompeux, et tout à coup s’interrompt : « Je demande au jeune géant américain, dit-il, de serrer la main de la vieille Europe. » Et il accompagne cette phrase d’une poignée de main donnée à M. Doane. Rien n’est plus dans le caractère américain que ce ton solennel, que cette recherche du pompeux et de l’éloquent interrompus tout à coup par les familiarités les plus bourgeoises. Ailleurs il a à haranguer la foule en plein air ; quelques Américains respectueux se découvrent : « Non, non, gardez vos chapeaux, il fait froid, » s’écrie Kossuth. Et les Américains de rire et d’applaudir. Il sait parler à ce peuple le langage des bonnes et saines doctrines démocratiques, comme il parlait en Angleterre le langage constitutionnel, comme il eût parlé en France le langage socialiste, si on l’eût laissé faire. Pour le moment, il reçoit les députations des villes, des municipalités, des congrégations, des associations, des meetings. De toutes ces députations, la plus excentrique est certainement celle du clergé méthodiste, qui l’est venue féliciter de n’avoir pas embrassé le mahométisme pendant son séjour en Turquie.

L’arrivée de M. Kossuth, le bruit de ses discours et des applaudissemens de la foule qui l’écoutent couvre momentanément toutes les autres paroles qui se prononcent dans l’Union, et jettent dans l’ombre des événemens ou des questions moins excitantes, mais plus graves en réalité. Le congrès s’est ouvert le 2 décembre, et a entendu la lecture du message du président Fillmore. Ce do-