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Chajim tient encore par quelque lien à la foi de Moïse, elle sait bien que c’est par l’amour qu’elle lui inspire. Aussi, malgré la gravité de sa parole, malgré la froideur qu’elle lui témoigne souvent et les reproches qu’elle lui adresse, Blumèle aime Chajim avec une sorte de dévotion concentrée et brûlante. Elle l’aime et comme son fiancé et comme une ame fraternelle dont la garde lui a été remise. Cet amour, où se mêlent les bizarres transports du fanatisme, est capable de sacrifices inouis ; la jeune fille, que l’auteur appelle hardiment la seconde Judith, va nous montrer bientôt à quelles extrémités sa passion la peut conduire. Leb-le-Rouge et Christophe ont été arrêtés par les Français et vont être fusillés. Qui les a trahis ? Il n’y a qu’une voix dans le Ghetto : le traître, c’est Chajim, et déjà le malheureux est sous le coup du mépris universel. Chajim cependant n’est pas coupable. Sa bonne conscience et le témoignage de sa fiancée le soutiennent au milieu des avanies sans nombre dont l’accable la vengeance populaire. La confiance de Blumèle console Chajim et lui fait oublier le monde entier ; mais Blumèle, qui la consolera ? Un soir que Chajim lui disait : « Ne sommes-nous pas fous, toi et moi, de nous tourmenter ainsi ? »

« — Dieu d’Israël ! s’écrie Blumèle tout en émoi, que dis-tu là, Chajim ? Oublies-tu qu’on te mettra toujours l’image de Leb devant les yeux, dusses-tu vivre cent ans encore ? Oublies-tu que tu seras forcé de marcher dans le sang de Leb aussi long-temps que tu seras au monde, et que ce sang finira par monter, monter, jusqu’à ce que tu en aies par-dessus la tête ?… Songe à toi ; quand tu auras des enfans et que les gens diront : Ce sont les enfans d’un traître, qu’en espérer de bon ? Et ce n’est pas tout : Leb-le-Rouge est une ame de Juif ; veux-tu donc le laisser périr ?

Ces paroles rejetèrent Chajim dans sa morne tristesse. — Mon Dieu ! mon Dieu ! s’écria-t-il, pourquoi m’as-tu envoyé cette épreuve ? Que faut-il que je fasse ?

« Après une longue pause, Blumèle lui dit : — Écoute, Chajim, serait-ce un malheur pour toi, si je ne devenais pas ta femme ?

« Chajim sourit comme s’il n’y pouvait croire. — Belle demande ! pensait-il.

« — Écoute-moi, Chajim, reprit Blumèle avec un accent extraordinaire, j’ai quelque chose à te dire… Tu vas te détourner avec dégoût dès le premier mot ; tu vas me chasser, me frapper au visage, car tu ne saurais imaginer ce que je veux faire… Je ne peux plus être ta femme.

« Chajim écoutait avec angoisse. — Je veux aller trouver le général français, dit Blumèle presque sans voix.

« — Et quoi faire ?

« — Je veux demander la grace de Leb-le-Rouge et de Christophe. « - Toi ?

« Cette résolution parut si étrange à Chajim, qu’il garda long-temps le silence. Il ajouta enfin : — Et s’il te la refuse ?

Aussitôt, d’un mouvement rapide, Blumèle se jeta à son cou et lui murmura quelques mots à l’oreille. Tout son corps tremblait, et une rougeur de