Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/160

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vouloir attraper quelques notes pointues de soprano, tandis que la Billington s’enroue à imiter la voix de contralto que la nature lui a refusée. J’en perdrai la tête à diriger ces deux sirènes ! »

Napoléon venait de franchir l’intervalle qui séparait la première magistrature de la république française du rang suprême. L’empire fondé, le nouveau Charlemagne voulut que sa cour fût entourée de toute la magnificence qui caractérisait l’ancienne monarchie de Louis XIV. C’est alors, en 1804, qu’il fit venir à Paris Mme Grassini pour faire partie de la troupe de chanteurs italiens qui devait desservir exclusivement le théâtre de sa majesté. Cette troupe fut la première qui vint s’établir en France depuis celle qui avait disparu lors de la révolution du 10 août : elle était composée du fameux Crescentini, de Brizzi, Crivelli, deux ténors de beaucoup de mérite, auxquels vinrent se joindre plus tard Tachinardi et Mme Paër, femme de l’illustre compositeur, qui fut nommé directeur de la musique particulière de l’empereur. Mme Grassini et Crescentini, qui se connaissaient depuis long-temps, puisqu’ils avaient chanté ensemble dès le commencement de leur carrière, étaient les deux virtuoses chéris de Napoléon, ceux qui avaient le don particulier de le charmer et même de l’attendrir. Crescentini était un chanteur du plus grand mérite ; il fut le dernier sopraniste célèbre qui transmit le style et la grande manière de chanter de la vieille école italienne. Né, en 1767, près d’Urbino, dans les États Romains, il débuta à Rome, au commencement de l’année 1789, dans un opéra intitulé Cesar, où il jouait un rôle de femme sous un costume semblable à ceux qu’on portait à la cour de Versailles. Crescentini était venu remplacer à Rome Marchesi, dont le départ avait attristé le cœur de toutes les femmes de la ville éternelle. À la dernière représentation qu’il donna, Marchesi fut l’objet d’une ovation extraordinaire, dont il serait impossible de se faire une idée en France. On pleurait dans la salle, et les femmes apostrophaient tout haut le chanteur, en lui adressant les mots les plus tendres et les moins équivoques : Adio, anima mia… Ricordati di me !

En 1796, Crescentini était à Milan avec Mme Grassini il y créait le rôle de Roméo dans l’opéra de Zingarelli. L’année suivante, il chantait à Venise dans les Horaces de Cimarosa, puis il se rendit à Vienne, où il est resté jusqu’en 1799. Alors il partit pour Lisbonne, où il rencontra Mme Catalani, et, après avoir visité une seconde fois Vienne en 1805, où Napoléon eut occasion de l’entendre, Crescentini fut mandé à Paris et attaché à la cour impériale par un engagement magnifique. Crescentini possédait une voix de mezzo soprano d’une qualité admirable. Excellent musicien, d’une physionomie charmante et assez bon comédien pour un homme qui, pour nous servir d’une expression du