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pas que les deux morceaux qui doivent compléter ce dernier chapitre de notre histoire militaire, l’Arrivée des Français à Civita-Vecchia et la Reddition de Rome, ne soient, eux aussi, dignes de l’Attaque du Bastion. M. Horace Vernet ne peut déchoir.

M. Ingres, dont le talent s’est développé et a commencé à poindre à la suite de nos orages révolutionnaires, n’est pas un des fils du XVIIIe siècle. Sa jeunesse a été grave, et, jusque dans ses moindres compositions, il a prouvé qu’il savait prendre au sérieux les choses sérieuses. C’est un esprit méridional, vif, mais réfléchi, qui ne marchande ni avec les convictions, ni avec les sentimens. Une de ses plus grandes colères a toujours été causée par ce poème de la Pucelle, dont les prologues résumaient les croyances religieuses et morales de nos pères. M. Ingres a toujours rêvé une réhabilitation de la glorieuse fille de Vaucouleurs, plus maltraitée peut-être encore par les poètes qui l’ont prise au sérieux, à commencer par Chapelain, que par celui qui l’a tournée en dérision. La statuaire et la peinture ne lui avaient guère été plus favorables. Sauf les statues de la princesse Marie et de M. Feuchères, qui l’ont représentée, l’une sous les armes, l’autre sur le bûcher, et le tableau où M. Paul Delaroche nous l’a montrée aux prises avec ce hideux cardinal de Winchester, rien n’avait paru qui fût digne de la naïve et sublime libératrice du royaume de France. M. Ingres a entrepris de réhabiliter la jeune fille et la guerrière, et, à l’aide des moyens les plus simples, sans recourir à l’épopée comme lorsqu’il veut nous montrer Napoléon ordonnant le passage du Rhin, ni à la chronique ou au drame comme dans ses tableaux de l’Entrée à Paris du Dauphin Charles V ou de Françoise de Rimini, il s’est contenté d’un cadre restreint et d’une seule figure, celle de la guerrière. Il nous l’a représentée debout, dans son costume de bataille, appuyée sur l’oriflamme qu’elle tient de la main droite, la main gauche posée sur l’autel et assistant au sacre du roi Charles VII, qu’elle vient de conduire à Reims. Le peintre l’a dépouillée de son casque et de ses gantelets de fer, qui sont placés à terre et à ses pieds. Sa tête nue est couronnée d’une abondante chevelure ; sa figure a ce mâle embonpoint qui convient à la fille des champs ; l’étincelle morale brille dans ses yeux levés au ciel, auquel elle semble rapporter sa victoire. Cependant sa main appuyée si franchement sur l’autel, orné de fleurs de lys, et sur lequel la couronne royale et les vases du sacre sont placés, indique plus énergiquement que tout autre geste ou toute autre démonstration quel a été son concours dans ces glorieux événemens, et à quel titre elle assiste à la royale cérémonie. L’expression de son visage n’a rien toutefois de la joie ou de l’enivrement du triomphe, et il y a de la tristesse dans son regard tourné vers le ciel : elle a accompli sa promesse, son rôle est achevé ; tout à l’heure, après la cérémonie, elle dira à l’archevêque de Reims : « Plût à Dieu mon créateur