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I

Autrefois on demandait une pensée à une œuvre ; on voulait qu’elle eût une signification. Aujourd’hui, sous prétexte de porter l’art à sa dernière puissance et de lui donner tous les développemens qu’il comporte, on a écarté la pensée, qu’on n’a plus considérée que comme un accessoire insignifiant. Les moyens sont devenus le but. L’art pour l’art ! tel a été le mot d’ordre qui a présidé aux dernières évolutions de l’école. La théorie de l’art pour l’art conduit rapidement au matérialisme et à l’imitation littérale, qui n’est qu’un des élémens de l’art et qui ne doit pas en être le principe. Le peintre, comme le poète, a dans les mains un des rayons du feu créateur ; or, reproduire, ce n’est pas créer ; faire briller ce rayon de toute la splendeur possible, ce n’est pas s’en servir pour féconder. L’art doit dédaigner ce rôle secondaire ; il doit s’attacher à reconquérir une partie de ce terrain que la littérature a envahie et revendiquer cette part d’influence que, dans, les sociétés antiques, au moyen-âge, à l’époque de la renaissance, et même au commencement du siècle actuel, il a si noblement exercée. Ce n’est pas assez de se montrer, fût-ce même dans la plus riche parure : il doit parler, on l’écoutera.

Si, à cet égard, quelque doute pouvait exister, nous citerions l’effet produit au dernier Salon par une composition des plus simples et des moins ambitieuses, mais qui révélait une pensée juste et un sentiment exquis de la nature : nous voulons parler du tableau de la Malaria, de M. Hébert. Les Exilés de Tibère, de M. Barrias ; la Cléopâtre, de M. Gigoux ; l’Incendie, de M. Antigna ; la Sceur de Charité, de M. Pils ; la Frise et les Néréides, de M. Gendron ; la Jeune Malade, de M. Jobbé-Duval ; la Sainte Véronique, de M. Landelle ; le Gué, de M. Decamps ; le Dimanche et l’Amateur de dessins, de M. Meissonier ; la Forêt, de M. Bodmer, qui ont partagé avec le tableau de M. Hébert les honneurs du Salon de 1851, ont dû à la pensée la meilleure partie de leur succès. Il va sans dire qu’un artiste doit savoir tous les rudimens de son métier. Il peut, s’il le veut, faire étalage des puissantes et magnifiques ressources que la palette a pu lui offrir, ou plutôt qu’il a su y trouver ; mais avant tout il doit penser, et appliquer ces moyens nouveaux à rendre sa pensée vivante et palpable.

Ces observations s’appliquent à tous les genres et à chaque ordre de compositions et de sujets. Est-ce au dessin seul et à ce respect religieux de la forme qu’il s’est imposé que M. Ingres doit la haute position qu’il occupe à la tête de l’école française ? N’est-il pas avant tout, un penseur des plus profonds et des plus ingénieux. S’il pouvait à ce sujet vous rester un doute, étudiez son plafond d’Homère, ou la moins