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chrétiennes est garanti dans toute la confédération ; mais elle ne fait nulle mention des Juifs. En effet, telle est encore en Suisse la puissance des antiques préjugés contre cette intéressante et malheureuse population, qu’un Juif ne peut point acquérir de propriété dans la confédération, et qu’il ne peut légalement y résider plus de quelques jours sans une permission spéciale. Des Juifs français ont eu, il y a quelque temps, à souffrir de cette législation digne d’un autre pays et d’un autre âge. Des représentations très fermes ont dû être adressées à ce sujet par le gouvernement français au canton de Bâle. Des faits analogues avaient déjà été l’occasion de conflits diplomatiques entre la confédération helvétique et la France.

En 1835, des Israélites français avaient voulu s’établir à Bâle-Campagne, et les autorités cantonales s’y étaient opposées avec une persistance qui n’était certainement ni démocratique, ni humaine. Le cabinet des Tuileries, polir obtenir justice en faveur de ses sujets, fut obligé d’ordonner, en ce qui concernait le canton de Bâle-Campagne, que l’exécution des traités réciproquement protecteurs des intérêts et des personnes, conclus entre la France et la Suisse en 1827 et 1828, serait provisoirement suspendue. En 1850, le gouvernement des États-Unis de l’Amérique du Nord avait préparé avec la république helvétique un traité important destiné à régler les conditions de l’établissement des citoyens suisses et américains dans chacun des deux pays, la situation des consuls, l’extradition des criminels, etc. Les négociateurs suisses avaient eu soin d’y introduire une clause portant que les privilèges du traité ne seraient applicables, conformément à la constitution helvétique, qu’aux citoyens chrétiens des deux pays ; mais les États-Unis ont refusé de ratifier le traité, en considération même de cette clause restrictive, qui, en effet, devait paraître choquante à ce grand pays classique de toutes les libertés. Il est probable que les avertissemens sérieux donnés, en 1835, au canton de Bâle et récemment renouvelés, joints à cette leçon adressée par le gouvernement des États-Unis à la confédération tout entière, ne seront pas perdus pour la Suisse. Si elle a pu quelquefois hésiter à accorder aux gouvernemens conservateurs les garanties qu’ils lui demandaient contre la démagogie, comment repousserait-elle logiquement leurs conseils, lorsqu’ils la sollicitent d’inscrire dans son code une liberté de plus ?

En Portugal, qui est décidément le maître ? Est-ce le duc de Saldanha ? Est-ce le septembrisme ? Le doute est plus que jamais permis. Au premier aspect, Saldanha triomphe sur toute la ligne ; dix mois de dictature semblent l’avoir plutôt fortifié qu’usé. C’est ainsi qu’après les élections, alors qu’il venait d’abdiquer son autorité discrétionnaire en appelant les chambres à la partager, il a osé et il a pu décréter impunément, sans le concours de celles-ci, l’annulation partielle des dettes de l’état, c’est-à-dire une de ces mesures qu’eût à peine suffi à couvrir la responsabilité collective des trois pouvoirs. Après tout, pourquoi se gêner ? La chambre haute est entièrement à sa merci : au moindre symptôme d’indiscipline, une fournée de pairs y déplacerait la majorité au profit du gouvernement. Quant à la chambre élective, les deux tiers au moins de ses membres doivent leur nomination au patronage ministériel. Les radicaux eux-mêmes, qui, peu de jours avant les élections, sommaient arrogamment Saldanha de leur céder la place, — les radicaux ont dû se résigner tous les premiers à mendier ce patronage, et ils ne l’ont obtenu que par la plus humiliante