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société. Voyez en effet notre temps il y a évidemment aujourd’hui un penchant universel à rechercher le secours de ces moyens extérieurs, de ces combinaisons collectives, à suppléer à nos propres forces par ce genre d’institutions qui nous créent des ressources factices et servent souvent d’appui aux défaillances de l’esprit de conduite, quand autrefois les mêmes questions se résolvaient par un mot, sur lequel un auteur nouveau vient de faire un opuscule piquant et juste, — l’économie, — non point l’économie politique, mais la vieille et simple économie, la primitive économie. Est-il bien sûr que ce simple et primitif moyen ne soit point encore un des plus efficaces remèdes contre les plaies que les institutions de crédit foncier sont destinées à soulager aussi bien que contre tant d’autres gênes inconnues ou réelles misères pour lesquelles la science s’ingénie à trouver des palliatifs dans d’artificielles créations ? Il y a ceci à considérer, pourrions-nous dire : c’est que, dans ces difficultés de vivre qui sont un des signes visibles de notre temps, dans ces décadences subites des fortunes, dans ces secrets dénuemens, dans ce paupérisme, en un mot, qui n’est point autant qu’on le pourrait croire particulier à une classe, mais qui se retrouve, à un certain point de vue, dans toutes les classes, il y a autre chose qu’un malaise matériel, il y a une maladie morale, contre laquelle les mécanismes de la science sont impuissans et qu’ils ne parviennent qu’à dissimuler : c’est la disproportion entre les désirs, les entraînemens du luxe et les ressources, entre le rôle qu’on veut jouer et les conditions naturelles où on est. Ce qui caractérise l’économie dans le vieux sens du mot, c’est qu’à une maladie morale elle oppose une vertu morale, — la puissance de contenir les désirs dans les limites de ses facultés, de dominer ses besoins factices, d’assujétir ses passions à l’esprit de conduite. Avec cette simple vertu de plus, que de consciences resteraient souvent entières ! que d’intelligences s’épargneraient les défections et les vénalités ! que de caractères conserveraient leur ressort ! Et Samuel Johnson avait-il donc tellement tort de dire que l’économie était, elle aussi, la mère de la liberté ? — Elle est la mère de la liberté, parce qu’elle est le bon sens et la règle appliqués aux affaires de la vie.

Aussi bien nous touchons ici un des points les plus caractéristiques de notre histoire morale : c’est la tendance à tout transformer, à mettre à la place d’une qualité simple et pratique, qui serait notre sauvegarde, quelque formule merveilleuse et accréditée, à substituer aux élémens réels les complications laborieuses. Il s’est formé avec le temps une école d’esprits pour qui c’est une science véritable que cette confusion dans l’étude des phénomènes intérieurs aussi bien que des phénomènes extérieurs. Ils mettent un art particulier à dénaturer toutes les questions, sans oublier même, dans leurs transfigurations, les relations des peuples et cet échange permanent d’influences qui s’opère entre eux. C’est bien à cette école que nous semble appartenir à son insu l’auteur d’un livre bizarre, — bizarre par le, titre plus que par le fond des choses, — un Missionnaire républicain en Russie. On peut s’attendre à quelqu’une de ces mystérieuses propagandes fertiles en incidens dramatiques et en observations. Il faut se détromper pourtant : c’est une propagande infiniment plus débonnaire, attribuée à un Français qui n’aurait trouvé d’autre moyen de faire pénétrer la vérité démocratique dans l’empire des tsars qu’en se transformant en précepteur d’un jeune gentilhomme russe. Honnête et naïf missionnaire, peu fait pour inquiéter sa majesté l’empereur de toutes les Russies, et qui naturellement