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circulation : nous l’empruntons à un rapport présenté par M. Coindet, de Genève, au département des travaux publics de la confédération. — Le canton de Vaud produit des vins que les consommateurs de la Suisse allemande préfèrent à ceux de l’Alsace, non-seulement pour le goût, mais parce qu’ils se conservent mieux. Au prix actuel des transports en Suisse, le vin vaudois paie, pour être rendu à Zurich, 32 francs 50 cent. par char[1] de plus que le vin d’Alsace, et en général la valeur du char ne dépasse guère 100 francs de France. L’exportation annuelle des vins vaudois est en moyenne de 23,000 chars, qui valent environ 2 millions et demi de francs, et les frais de voiture s’élèvent à un peu plus de onze cent mille francs ! Il n’y a pas de pays où le prix des transports soit aussi exorbitant qu’en Suisse, pas même l’Angleterre. Or la même quantité de vin parcourant les mêmes distances, mais par chemin de fer, coûterait moins de 400,000 francs, et on aurait, outre cette économie de 700,000 francs sur une valeur de 2 millions et demi (presque un tiers), les avantages de la promptitude du transport et de la bonne conservation des vins, qui ne seraient exposés ni aux fraudes ni aux inconvéniens d’une longue route par le froid ou la chaleur.

Nous choisissons à dessein cet exemple parmi les moindres intérêts de la Suisse. Pour elle, la production du vin dans le canton de Vaud est d’une importance secondaire ; mais si, pour un seul des vingt-deux états confédérés et sur une seule branche de son commerce, l’économie réalisée par les chemins de fer égale déjà le sixième de l’intérêt du capital absorbé par le réseau tout entier, il est facile de concevoir que les profits indirects résultant pour toute la nation de l’établissement du réseau dépasseront de beaucoup le revenu direct de l’entreprise elle-même.

Chargé par le gouvernement de faire une enquête sur l’influence que les chemins de fer pourront exercer sur l’agriculture en Suisse, M. Coindet a reconnu que l’établissement des principales lignes qui aboutissent aux frontières de la confédération a eu déjà pour effet l’abaissement du prix des céréales en Suisse. C’est un fait considérable et qui est d’un intérêt si marqué pour la France, que nous croyons devoir noter ici quelques-uns des résultats de l’enquête de M. Coindet. Cette enquête a établi que, depuis quelques années, les agriculteurs suisses se plaignent du bas prix des céréales. Tout récemment encore plusieurs districts ont donné à leurs députés le mandat de solliciter de l’assemblée fédérale une augmentation des droits d’entrée sur ces denrées. « C’est chercher le remède, dit M. Coindet, là où il ne saurait exister. » La confédération ne peut pas imposer à toute la Suisse une élévation dans le prix du pain pour assurer une mieux-value à quelques cantons agricoles. Cette mesure serait trop contraire aux intérêts de l’industrie. Et même, à supposer que les cantons se trouvassent encore, comme sous l’ancien régime, libres de mettre à leur gré des droits sur l’importation des produits étrangers, il est certain que, si les gouvernemens cantonaux apportaient à l’examen de ces questions une parfaite indépendance et des lumières que ne possède pas la masse des agriculteurs, ils n’adopteraient pas une mesure que repousse une saine économie politique, et que condamne l’exemple de l’Angleterre, si intéressée dans cette même question et si expérimentée dans cet ordre de faits.

  1. Le char est de 6 hectolitres et 69 litres.