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souverain au mérite civil, retombait mollement sur sa poitrine. Sur sa tête rasée, un bonnet de feutre aux bords relevés affectait la forme du morion que portaient pendant le combat les fantassins du moyen-âge ; d’épaisses semelles de carton et de cuir, ajustées à des tiges de satin, ajoutaient à la majesté de sa haute stature. Ce costume n’avait rien de trop efféminé, et pouvait à la rigueur convenir à un guerrier tartare ; mais la main nerveuse qui eût dû serrer la poignée d’un sabre de Tolon-noor se voyait réduite à rouler entre des doigts ornés de longs ongles translucides la fiole de jade remplie d’un tabac parfumé, ou à faire glisser sans bruit l’un sur l’autre les grains de corail, de bois de fer et d’ambre.

Il n’y eut que deux des mandarins subalternes, Heou-Lieun, commandant en second de la milice du district, et Wan-wei, magistrat de la ville de Shang-hai, qui osèrent pénétrer, à la suite du taou-tai, dans la chambre du commandant de la Bayonnaise. Le reste du cortége se tint respectueusement à la porte. De notre côté, nous étions assez familiarisés à cette époque avec le cérémonial chinois pour pouvoir nous montrer aussi rigoureux observateurs des rites que le courtisan le mieux appris du Céleste Empire. Aucun de nous ne commit donc l’inconvenance de se découvrir devant nos hôtes ; ou n’eut la maladresse de les faire asseoir à sa droite. Quand le taou-tai eut pris place avec M. Forth-Rouen sur un des divans de la galerie, les officiers de la Bayonnaise lui offrirent l’un après l’autre la main gauche, et vinrent occuper les sièges qui les attendaient, silencieux, le sabre au côté et le chapeau poliment enfoncé sur la tête. La glace cependant fut bientôt rompue, et il suffit d’ajouter à l’hospitalière infusion du pekoe à pointes blanches quelques verres de champagne mousseux et de cherry-brandy, la liqueur favorite des Chinois, pour que la froide étiquette fit place à un gracieux échange de pantomimes qui réussit à suppléer en partie à la rareté des interprètes.

Le taou-tui sentait bien qu’il n’avait plus affaire aux ennemis naturels de la Chine, et, tout barbares que nous étions, il pouvait nous traiter avec un degré inusité de confiance. En passant sur le pont et en traversant la batterie, son œil intelligent avait mesuré la mâture et sondé les vastes flancs de la Bayonnaise, le plus grand, le plus beau navire européen qui eût jamais mouillé sous les quais de Shang-hai habilement provoqué par M. de Montigny, dont nous eussions eu mauvaise grace à contrarier le zèle patriotique, Lin-kouei témoigna le désir de visiter le sampan français. Nous promîmes de le lui montrer dans tous ses détails, et je dois avouer que nous ne remplîmes pas à demi cet engagement. La cale, le faux-pont, la batterie, l’installation des soutes à poudre, l’appareil distillatoire adapté à notre cuisine, tout servit de textes à de longs commentaires pour lesquels le vocabulaire de M. Kleiskowsky, interprète du consulat de Shang-hai et long-temps