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et résigné, sa bonne envie de plaire et d’amuser, inspirèrent au marquis une compassion profonde. Tout à coup le musicien s’arrêta au plus bel endroit du morceau ; il jeta des regards effarés sur un groupe de gens du peuple qui débouchait au coin de la rue, et il s’élança dans l’auberge, dont il ferma la porte. La foule, armée de bâtons et de fourches, arriva bientôt en poussant des hurlemens sauvages ; le chef de la bande demanda qu’on lui livrât l’empoisonneur pour en faire justice.

— Il n’y a point d’empoisonneur, répondit le marquis du haut de son balcon ; il n’y a que des peureux et des ignorans. Vous ne toucherez pas à ce pauvre Napolitain.

— Nous voulons le zampognaro, et nous l’aurons, cria une vieille femme en brandissant un balai ; on l’a envoyé de Naples pour jeter du poison dans les fontaines.

— Eh bien ! dit le marquis, apportez-moi de l’eau d’Aréthuse, et, si je tombe malade pour en avoir bu, je vous livrerai le zampognaro.

Maître Carlo, qui se promenait sur les remparts, entendit le tumulte et s’empressa d’accourir. Il fendit la foule, et monta sur le perron de l’auberge : — Respectez, dit-il, l’autorité de celui qui vous parle ; c’est un bon Sicilien, et de plus un homme de qualité. Retirez-, vous, puisqu’il vous le recommande.

Ce discours n’aurait produit aucun effet sur des gens exaspérés, si Carlo n’eût ajouté, en retroussant les manches de sa chemise, qu’il assommerait les récalcitrans. La vigueur et les poings fermés de l’orateur prêtèrent assez de force à son éloquence pour causer un moment d’hésitation. Le marquis en profita pour prononcer une harangue qui apaisa l’émeute au grand regret de la femme au balai. Le Napolitain, qui balbutiait ses prières à genoux dans un coin, se croyait déjà ammazzato.

— Remets-toi de ta frayeur, lui dit le marquis, le rassemblement est dissipé. Je t’attache à ma personne, et je te protégerai tant qu’il te plaira de rester en Sicile.

Le zampognaro n’acheva point son pater ; il se releva d’un bond sur ses pieds, et demanda combien sa seigneurie lui donnerait de gages par mois. Le marquis lui offrit deux piastres, le logement et la nourriture. — Excellence, répondit-il, la zampogna est un bel instrument, mais qui fatigue la poitrine. Pour en jouer soir et matin, sans marchander, ce n’est pas trop de trois piastres.

— Je t’en donnerai cinq en arrivant à Messine, dit le marquis, mais ce sera pour payer ton passage sur le bateau de Naples, car je vois bien que, si nous vivions long-temps avec toi, nous deviendrions tous des bouffons.

Les bouffonneries du pauvre zampognaro introduisirent pourtant dans la maison du seigneur Germano un élément qui ajouta des agrémens nouveaux aux plaisirs de la vie bohémienne. Carlo, tout en faisant